Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 18 décembre 2009

Vanités…, II


Le regard micro-chirurgical qui est le sien depuis des années est formé à scruter les défauts les plus infimes de la peau, le relâchement des muscles des paupières, le creusement du sillon naso-génien. Elle s'inquiète, sans certitudes, de l'affaissement de l'ovale du visage que vraisemblablement rien ne pourra lui éviter. À l'examen, elle découvre ce matin, aux alentours de 6h32, avec une curiosité médicale, une nouvelle ridule, sise au coin des yeux — dans une symétrie presque parfaite. Elle plisse les paupières.

Elle perçoit, dans le miroir d'une salle de bains aseptisée, le rebours du temps qui s'affiche sur le cadran de l'horloge numérique. Jeux de reflets entre le temps et elle, il passe, elle demeure, elle s'affaisse sans le voir, mais tout de même le sait, et finalement elle passe, et le temps continue… à se demander si, une fois qu'elle aura disparu, une fois que tous les accidents de tous les êtres auront disparu, il restera encore quelque chose sur quoi le temps pourra passer…

Ses paupières lui révèlent alors le froissement impitoyable des tissus, les plis légèrement incisés — la répétition des mêmes expressions encore, dans la répétition des scènes de la vie, a froissé son visage. Sans doute, elle a encore ri plaisamment dans le vide d'une soirée, sans doute, elle a souri complaisamment à une aventure possible, et sous la pluie elle a eu du mal à conduire jusque chez elle.

Son visage depuis quelque temps a entrepris de se caricaturer de lui-même par un jeu de déformations successives et impalpables. Il s'y emploie si insidieusement qu'elle tente chaque matin de se convaincre que rien, en elle, ne change. Semblable presque en tout point à ce qu'elle a été hier, elle sera demain presque semblable à ce qu'il lui a été donné d'être encore aujourd'hui, et ainsi en ira-t-il de la suite de ses jours, dans un effondrement calme, dans une apocalypse presque immobile que tous les matins, elle vient constater, enfermée seule dans une salle de bains, et que tous les matins elle continue de s'épuiser à nier.

5 commentaires:

  1. Le temps passe. Retenir le reflet et le faire mentir. C'est pour la bonne cause.

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  2. exactement ça, depuis trop longtemps (et merci à Christine Jeanney pour l'adresse)

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  3. Ce que je ressens en lisant ton texte aux passages sensibles :
    L'oeil ecoute les visages du temps et a bien du mal à faire coexister la double image du soi et de ce double qui craquèle.
    Mordre le temps le tourner en dérision pour ne pas se retrouver prisonnier ?

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  4. Jolie surprise de vos réactions. Je craignais que le texte ne paraisse froid et insensible. Et vous avez détecté tout autre chose. Merci…

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  5. ça va encore... on peut procastiner, l'apocalypse ( ta formule "presque immobile"est superbe) pour demain. J'aime la question du temps ici, sur quoi pourra-t-il passer? j'aime le contraste, l'apparente dissonnance du féminin et du chirurgical, ce "sillon naso-génien" à l'abord refroidissant( je crois savoir où c'est), cette froideur est peut-être très féminine, quand je n'aurais su que constater et bof!, les hommes fuient ( dans l'espace) au lieu de consentir, ce texte dérange et reprend le cliché d'une obsession féminine, affrontée. Il y a une différence de tons qu'il ne faut pas regretter. La Madeleine pénitente de La Tour est renouvelée.

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