Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 15 août 2010

Cahier d'un autre été, XXV (fissures)

- C'est le gel qui a fait ça.

Et en disant cela, il tape du pieds contre le pilier qui se délite, et qui, docile, laisse apparaître ses entrailles rouillées qu'il ne retient plus. Il m'explique la rouille incisive, le gel qui dilate les corps imbibés d'eau, l'éclatement du pilier, inéluctable, je regarde à ses pieds les petits éclats de matière qui s'éparpillent dans l'herbe humide. J'imagine les hivers passés, les recompte rapidement, revois en accéléré les quelques images qui ponctuent le récit que je me fais de la maison, les étapes successives que ce monde a franchies, les drames, le dais noir tendu devant l'entrée ...

Son pied qui tape obstinément contre le pilier continue de le disperser et me rappelle au monde. Il me faudrait préciser le temps et le lieu de cette discussion, focaliser mon esprit exactement sur ce qu'il me dit, ne pas me laisser distraire par cette surprenante destruction de la matière. Je tente d'écouter ses mises en garde, et d'imaginer l'espace autrement. Vide. Non ponctué. Lisse. Je tente de retenir un instant encore le passé, puis de passer très vite beaucoup plus loin, au moment où cet instant présent, lui-même, sera projeté très en arrière dans un passé lointain dont les couleurs mêmes seront estompées et tout cela ne sera plus qu'un minuscule instant du passé, d'un passé décoloré.

Il y avait une tonnelle autrefois. Je me souviens si bien de l'odeur de ce jasmin immense qui grimpait le long des piliers qu'il me semble à jamais la respirer. Nous avons passé tant de soirées, assis sur le banc vert, dans son ombre, il nous enivrait presque, je me souviens de tous ceux qui se sont assis là, de tous ceux qui ont mêlé leur voix à ces nuits, qui ont déposé leurs espoirs, quelque trace de leur présence, dans cette odeur presque entêtante - elle penétrait si loin dans les nuits d'été.

Il tapait contre la tonnelle rongée par le temps et je savais à quoi il faudrait renoncer. Je détestais ce geste, le bruit mat qu'il rendait, les débris du passé qui ne lui résistaient pas.

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