Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 27 septembre 2010

Carnets lointains, VI (rien qu'un fil tendu)


Il est presque décevant, alors, de ne rien ressentir. Presque rien. De l'air sur le visage. Rien de plus que quand on trébuche, ou qu'on fait une chute à vélo. Je glisse dans l'espace. La seule différence est que la douleur se fait attendre. Et que la chute commence à être parfaitement verticale. 

Le monde défile. Exactement comme il défilerait par la fenêtre d'un train lancé à pleine vitesse dans un paysage horizontal. Les lignes seulement se déplacent. La translation vectorielle change tout. Et ne change rien. Dans un sens ou dans l'autre, le monde défile derrière des vitres. Je ne suis pas du même côté. Ce soir je suis du côté du vent. Paysage urbain. Il se déroule en accéléré. La chute est merveilleuse. Mes paupières se ferment presque, mais à travers la fine ouverture qu'elles conservent, pour protéger mes yeux du vent de la chute, je vois très distinctement les alternances de lumières et d'ombres massives. Des lumières de toutes couleurs. Des scintillements. Des étincelles. Des flashs. Des ondes de lumières. Ombres et lumières. Alternances. 

Je me retiens à cette phrase de Rimbaud, que depuis très longtemps je conserve dans un coin de mes rêves :

J'ai tendu des chaînes d'or d'étoile à étoile. Et je danse.

On comprendra que, dans la chute, je ne sois pas très sûre de la ponctuation. Ce doit être cela, se retenir à des chaînes d'or tendues entre des étoiles. Je vois comme en accéléré les vies enfermées dans des rectangles lumineux, un femme, ou une jeune fille qui fume à son balcon, un couple qui se fait face, elle gesticule, lui conserve les bras croisés sur la poitrine. Ils ne me voient pas. Et les tremblements bleutés de tous les postes de télévision qui déversent leurs flots d'images, incandescentes et pâles. 

J'ai repéré consciencieusement l'état du monde urbain. Je sais, pour l'avoir patiemment établi, qu'il y a une demi-heure, dans le monde, où les êtres fatigués vont se coucher, et où les autres hésitent encore à se lever. Il y a une demi-heure de solitude dans le monde. Étalée dans l'espace. En fonction des lieux, des fuseaux horaires. Sans doute au bord du fleuve, plus loin, dans la vallée, ces horaires ne valent pas et les matins bleutés sont tout autres qu'ici. Mais ici c'est l'heure de la plus profonde solitude.

Alors je plonge dans la nuit. Le vent siffle. Je traverse la ville. Je ne suis presque rien. Un point dans l'espace. Qui effectue une chute vertigineuse.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire