Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 27 mars 2011

L'∞, 84

— L'absinthe de ton absence lui est terriblement amère, je suppose ?
— N'en doute pas.

Elle, la magicienne ! À son tour d'avoir, dans la bouche, sa bouche qu'assurément tu as embrassée maintes fois, sans répit, sans relâche, mais à présent vos lèvres sont désunies, c'est son tour d'avoir entre ses lèvres le goût amer de ton absence. Elle a triché, à toutes les parties qu'elle a jouées dans le monde, elle a triché, menti, avant même le début de la partie, étiré le temps, déformé les repères, les espaces, les intervalles, les interstices, jeté des sorts, déboulonné les possibles et dans ce déséquilibre constant il était devenu impossible de ne pas dégringoler.

C'est à elle, maintenant : c'est son tour d'avoir, dans la bouche, le goût atrocement amer de l'absinthe et de ton absence, de ton absence qui se distille, qui infuse, dans toutes les saveurs de ses journées. Je le connais, je le connais très bien, je le connais par cœur, je pourrais l'identifier même en le diluant dans l'océan tout entier, l'océan tout entier pour moi seule aurait le goût de ton absence. Après tout, j'ai bu moi aussi à ce calice, moi qui ne croyais même plus à la possibilité de toi. Je lui laisse au fond les gouttes les plus amères. La concentration y est absolue. Elle devrait, même dans son sommeil, même dans les limbes les plus profondes, les plus lointaines, le sentir et autour d'elle tout ne sera que déchirement.

— Je me demande quel philtre splendide elle est occupée à préparer avec ses larmes.
— Tu exagères.

Je ne sais pas pourquoi, toute ma colère prend pour focale unique cette magicienne disparue de son monde, retirée de son monde, au point qu'elle n'est sans doute plus rien pour Ulysse, et que pourtant, je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il regarde la mer dans sa direction. Je tente de me rassurer. Il y a une ligne de fuite. Elle est partie, on a inventé la perspective, ses dieux sont partis, ailleurs, loin, sans doute elle les a suivis, emportant ses secrets avec elle, et moi, je ne sais pas pourquoi, je serais bien incapable de le dire, la focale se resserre, se recentre, s'affine, se précise, je pense à elle, à ses philtres, ses potions, au temps qu'Ulysse a passé avec elle, et ma colère prend cette irisation que je lui connais, quand elle va devenir tranchante comme la pointe d'un diamant.

— Tu sais à quoi je pense ?
— Non. Comment veux-tu que je le sache ?
— À ce mot que j'ai dû apprendre un jour, aspex, aspicis, m. dont le dernier sens répertorié était "la pointe du bonnet du flamine".
— Pourquoi tu penses à ça ?
— Il s'était enfoncé en moi, j'étais désespérée. Ce mot m'avait complètement désespérée.
— Je comprends…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire