Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 16 juin 2011

Ædificavit s'installe aux bords des mondes.

jeudi 2 juin 2011

Vases communicants de juin 2011 avec Louise Imagine




Voix…

Lointaines.

Réminiscences…


Se souvenir du pourquoi. Du comment. De l’importance des images, des odeurs, des sons. Du peu qu’il me reste, enfance absorbée par une mémoire défaillante. Chute. Traumatisme crânien. 3 jours de Black-out.

Plus rien.

Puis rassembler, recoller ce qui se laisse approcher.

Pas grand chose, certes.

Quelques instants. Intenses.

Toute une vie finalement.

Les volants rouges et vaporeux d’une robe d’été virevoltant au dessus de ma tête. De longues jambes gainées de talons hauts dansant juste au centre.


L’odeur de chlore de la piscine municipale. Les cris aigus des autres enfants. Ces mains brutales me bousculant et me poussant dans l’eau. Ma peur alors que je coule. Je ne sais pas nager.


Le grand bol rempli de cacao et lait en poudre que me tendait ma grand-mère. Les grains moelleux fondant sur ma langue, cuillère après cuillère. Prendre son temps.


Le crissement affolé des pattes d’une sauterelle contre la boite d’allumette dans laquelle je l’ai enfermée. Ma curiosité.

Les éclairs déchirant la voie lactée, une nuit d’automne. Moi, échappée à pas feutrés de ma chambre, restant assise sur la balançoire des heures durant pour ne rien rater.

Le parfum du lilas dans le jardin. Celui, plus profond, de la figue. Aller cueillir le fruit à même l’arbre. Sève blanche collant aux doigts. Recommencer.

Le chant des enfants s’élevant dans la salle polyvalente pour ce jour de fête. Ma terrible détresse de ne pas avoir osé les rejoindre dans le chœur. Corps de plomb. Impossible de bouger. Deux mois que je répétais.

Le doux ronronnement du chat, tout contre moi. La nacre lisse de ses moustaches. Mon souffle chaud creusant son pelage.

Le fumet envoûtant de la tourte sortant du four, dans la queue du magasin. Ma main, figée dans celle de ma mère, espérant qu’elle me laissera porter le panier.

Un souffle chaud contre mes joues, mèches de cheveux chatouillant mes tempes. Éblouissement. Éclats ocres et jaunes. Scintillement délicieux. Je plisse les yeux. C’est l’été. Surtout ne pas bouger.


Rassembler, recoller ce qui se laisse approcher.

Quelques instants, à peine.

Mais d’une belle intensité.


Son : Isabelle Pariente-Butterlin que vous pouvez entendre ici

Texte, photo : Louise Imagine



« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. » Vases Communicants


Vous pouvez retrouver ma participation sur le site de Louise Imagine...


N'hésitez pas à lire et relire les autres participations à ces vases communicants de juin 2011 :

Nicolas Bleusher et Christopher Selac
Martine Sonnet et Urbain trop urbain
Anita Navarrete-Berbel et Brigitte Célérier
Céline Renoux et Christophe Sanchez
Franck Thomas et Guillaume Vissac
Cécile Portier et Pierre Ménard
Franck Queyraud et Loran Bart
Anne Savelli et François Bon
Carine Perals-Pujol et Joachim Séné
Maryse Hache et Laurence Skivée
Chez Jeanne et Xavier Fisselier
Le roi des éditeurs et Nicolas Ancion
Kouki Rossi et Jean Prod'hom
Michel Brosseau et Jacques Bon
Christine Jeanney et Christophe Grossi
Caroline Gérard et Juliette Mezenc
Ghislaine Balland et Dominique Hasselmann
Piero Cohen-Hadria et Conte de Suzanne

jeudi 26 mai 2011

I.2. )

).

Parenthèse. Point. C'est la séquence. La séquence de fin. Parenthèse point. Parenthèsepoint. On entend ça : parenthèsepoint. On l'entend dans sa tête. C'est fini. Les doigts, un instant, suspendent leur entremêlement sur le clavier. Cliquetis de parenthèsefin, puis plus rien, un instant. Plus rien.

Je ne sais pas ce qu'il y avait avant : nous ne sommes pas remontés dans la ligne. Il n'est pas nécessaire de (toujours) remonter plus avant. Nous n'avons pas réussi, nous ne sommes pas parvenus, nous ne parvenons pas, ça achoppe, ça grince, ça crisse. On fait comme on peut, on passe son temps à faire ce qu'on peut. Mais là, non, ça crisse, ça grince, ça achoppe, il doit y avoir quelque chose comme de la rouille, la rouille, qui gonfle les articulations, qui les fait gonfler, et puis la porte n'ouvre plus, il faut pousser fort, et puis même pousser, fort, coup d'épaule pour les hommes, de hanche pour les femmes, ça ne suffit plus. Alors on n'y peut rien. Même le grincement, on ne l'entend plus, on aimerait bien l'entendre, le grincement, à l'ouverture de la porte, mais voilà : même ça.

Alors parenthèsepoint.

Si on commence par le début, on n'en sortira pas. On va faire comme je sais faire. C'est moi qui fais alors on fait comme je sais : on poser la fin, on tend vers elle, c'est dans ce sens. Désigner le but : tendre vers lui. Désigner. Si l'échelle des êtres n'est pas binaire, s'il y a une infinité de possibles dans les degrés d'âme, entre l'inanimé et l'animé, on peut toujours rêver, c'est une hypothèse, on n'est pas obligé d'en être réduit au face à face le plus binaire avec le monde, alors il est possible que la corde tendue de violon tende de toute son âme à la note juste sous la caresse de l'archet. Du moins, on peut l'imaginer.

Pour le moment, nous n'en avons pas le temps. Ce n'est pas la question. Pas directement. Nous remonterons plus tard. Nous procèderons par remontée, tendue, dans le corps des phrases. Contre-courant est plus amusant. Contrer le courant. Contrer le vent. Ne pas suivre, remonter, ondoyer. Lutter. Le monde de face. Les phrases de face. Face à face. Corps à corps. Corps et âme. Contrer les phrases, éprouver leur résistance, cheminer à l'envers pour ne pas être enveloppé d'elles, pas trop douceureusement, du moins, leur musique étrange et sonnante, et résonnante, ne pas se laisser séduire par elles, leurs sonorités douces et trompeuses.

Alors voilà : parenthèsepoint.

Tintement, crissement, cliquetis. Et puis parenthèsepoint. Et on tombe. On tombe dans le silence.

mercredi 25 mai 2011

I.1. )

)

Si la parenthèse se referme, nous tombons de l'autre côté. Je ne sais pas ce qu'il y a de ce côté immense de ce minuscule symbole. L'une s'est ouverte, l'autre refermée. Elles tenaient entre elles ce qui devait l'être. Parenthèse ouverte, à quoi répond, pour finir, une parenthèse fermée.

Je ne sais pas pourquoi je commence par elle. Sinon qu'elle initie l'inconnu. Et après, je ne sais pas non plus. Je ne sais que des choses minuscules. Je ne peux pas tout dire.

Quelque chose se referme. Je ne sais pas ce qu'il y avait avant, je sais pas ce qu'il y a après, qui a déjà commencé au moment où ces lignes commencent à se tracer. Il ne paraît pas très stratégique d'anticiper. Peut-être, pour que la phrase soit correcte, pour qu'elle se comporte selon des lignes parfaites, pour que la formule soit exacte, et la plénitude atteinte au regard du sens, qu'on n'y perde rien, pas une miette de signification, pas d'émiettement, pas d'éparpillement, peut-être aurait-il fallu écrire, non pas

")"

pour commencer, c'est une erreur, mais bien plutôt

"…)"

Le texte commence par une fin. Qui est une erreur. Ce n'est pas grave, les abstractions sont délicieuses.

Reprenons :

…)

Quelque chose … se … termine, puis la parenthèsesereferme).

La parenthèse se referme. Si on regarde attentivement, on voit le tracé, l'élan, le processus. On voit la suite de points de suspension aussi longtemps qu'elle se sera prolongée, on peut l'imaginer immense, étendue, ou très brève, cela ne change pas grand-chose, pour le moment, à ce qui nous occupe, ici,

…)

Mais faut-il un point après la ) ? Quelque chose se referme, et puis. Point. Mais qu'y a-t-il ? Après ?

dimanche 22 mai 2011

L'∞, Épilogue, 10

Un mouvement, puis l'autre. Un bras puis l'autre. Respirer. Je crois que je commence à me déplacer. Je n'en suis pas sûre, il n'y a aucun repère, je n'ai aucun repère dans ce désert liquide, calme et vert et bleu, (respirer) qui se soulève, palpite comme une vie. Je n'ai aucun repère, alors il n'y a que cela : un mouvement, puis l'autre (respirer). Je commence à fuir les bords du monde. Pour cela, fuir, un mouvement puis l'autre, puis respirer (se reposer). Les bords du monde verticaux. Je ne les regarde plus, ils ne m'attirent plus, un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre, il faut que je rentre, la côte ne se rapproche pas encore, l'horizon ne s'éloigne pas encore, je ne sais pas, il n'y a aucun repère.

Il faut se concentrer uniquement sur cela : {{un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre (puis respirer)}. Se reposer}}. Juste cette séquence. La répéter. Inlassablement. Autant de fois qu'il le faudra. Ce qui fait que, soudain, dans cette immensité ouverte, bords du monde tout proches, d'où on aurait pu tomber, l'espace soudain se replie, se referme, rétrécit et que, inlassablement, il n'est que cela, cette séquence infime de l'océan dans laquelle se déplie : {{un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre (puis respirer)}. Se reposer}}. C'est tout. Rien que cela. Tant que cela sera possible {{un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre (puis respirer)}. Se reposer}}, alors il sera possible de recommencer un déplacement horizontal, de ne pas seulement s'enfoncer verticalement dans les profondeurs de l'océan.

Inlassablement n'est pas le terme exact.

C'est seulement la tension de ma volonté, seulement elle, purement elle, qui me reconduira sur la côte {{un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre (puis respirer)}. Se reposer}}. Répéter cela. Sans cesse. Ne jamais cesser. Répéter cette séquence. Les mouvements du corps s'en suivront de la pure tension de la volonté. De lui-même, il aurait coulé à pic, il ne servait à rien, plus à rien, il a fallu tendre à l'extrême la volonté, la relier comme une corde à la terre, {{un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre (puis respirer)}. Se reposer}}, imposer cela au corps qui abandonnait et qui redevient utile.

Répéter la séquence. Se reposer. Tant que l'eau me porte, je ne risque rien. Il suffit de faire confiance à l'eau, me reposer sur elle, me reposer en elle, détendre mes muscles, éviter l'épuisement, {{un mouvement puis l'autre, un bras puis l'autre (puis respirer)}. Se reposer}}. Se reposer sur l'eau. Se confier à elle. Elle me porte. Tu vois bien ? Elle te porte.

L'∞, Épilogue, 9

Oui, c'était bien ça, j'avais bien entendu, c'était cette phrase là, elle disait vrai, exactement, immédiatement, je me la suis incorporée, comme l'eau froide et inaccueillante dans laquelle, désormais, mes jambes, déjà, je le sentais, étaient enserrées, eau froide, et glissante, dans laquelle il était assurément impossible de tenter le moindre mouvement, dans lesquels les mouvements ne pouvaient pas aboutir, ne pouvaient aboutir à aucun déplacement selon le lieu, je ne pourrai pas rentrer, c'était donc vrai, je ne pouvais pas rentrer, je ne reviendrai pas, nulle part, jamais, il n'était plus question de l'océan, il n'était plus question de l'horizon, des bords du monde, inatteignables, il n'était question de rien, plus rien.

Je ne peux plus rentrer. Je ne pourrai jamais rentrer.

Alors, j'ai commencé à couler, couler à pic, descendre, peu à peu, là où croisent les ombres, les masses opaques, les bruits sourds, là où se perd la lumière du soleil, là où les rayons du soleil se perdent, se noient, un peu encore, un peu plus bas, un peu plus loin dans les profondeurs, j'allais couler. Alors j'ai commencé à couler. Mes mouvements sont devenus désordonnés, j'ai bu une première gorgée d'eau salée, et froide, qui m'a fait tousser, mes mouvements alors sont devenus encore plus désordonnés, impossible de les coordonner, de les remettre, entre eux, en coïncidence, de les faire coïncider entre eux, pour retrouver une impulsion, c'était impossible. J'ai commencé à couler. Et je le savais.

Tu es en train de te noyer, regarde toi, tu es en train de te noyer.

La phrase avait raison, c'était évident, cela soudain me frappait, elle avait raison, je ne comprenais pas du tout comment elle le savait, comment elle arrivait là, dans ma conscience déjà imbibée d'eau et de sel, j'allais me noyer, ou plutôt, je me noyais, c'est exactement ça, je me noyais, je coulais, j'épuisais mes gestes, mes forces, à rien, pour rien, je coulais, à pic, je me noyais, je faisais exactement ce qu'il fallait faire pour se noyer, exactement ce qu'il ne fallait pas faire, gestes, désordre des gestes, inutiles, épuisants, je me noyais.

Regarde-toi. Calme-toi. Il y avait une solution, en l'espace de quelques secondes je le compris, regarde-toi, calme-toi, reprends, un geste, et puis allonge-toi, repose-toi, une respiration, les bras, une fois, deux fois, et puis repose-toi. Si tu te reposes, tu vas retrouver ton souffle. Si tu appelles à l'aide, tu le perds. Repose-toi. Nage. Les bras, une fois, deux fois, c'est tout, ça suffira. Les jambes suivent. Puis repose-toi. Comme ça, tu vas y arriver, les bras, une fois, deux fois, puis repose-toi. Tu avances, ça y est. Tu ne vas pas mourir, là, devant ta fille minuscule qui joue sur la plage et qui ne pourra pas supporter que tu ne reviennes pas. Avance. Un geste puis un autre. Puis repose-toi.

samedi 21 mai 2011

L'∞, Épilogue 8

Ce n'était plus le moment d'hésiter, cette fois, il était venu, le moment précis, exact comme le jugement dernier, de ne plus hésiter, de passer outre, d'outrepasser les limites, celles imposées par le monde, celles qu'on s'impose à soi, celles qu'on ne sent que lorsqu'on les heurte de plein fouet, un soir d'été. La mer était étale, parfaitement. Presque tiède. Je nageais vers l'horizon, droit vers l'horizon, ne nageant que pour lui, pour une ligne horizontale et fascinante, inatteignable, impossible à rejoindre, bordure du monde, capable d'aimanter l'esprit, et les yeux, et parfois les forces mêmes du corps, décidément, il vaut mieux se tenir à distance de cette ligne horizontale, au-delà de laquelle les anciens pensaient qu'on basculait, bord du monde, bordure du monde, qu'on ne peut pas voir autrement que comme une ligne, comme ils la voyaient, et ensuite, assis au bord du monde, on pouvait décider de basculer ou de ne pas basculer, de tenter de revenir, ou de partir tellement plus loin que c'était précisément là d'où on ne revient jamais.

Je nageais vers l'horizon, pensant à cela, seulement cela, un mouvement et puis un autre, respiration indexée exactement sur les mouvements des bras, une fois, deux fois, trois, quatre, respirer, recommencer, toujours, ce qui compte c'est le rythme, tenir les mouvements, visage dans l'eau, le sel brûle un peu les yeux, mais au fond de moi j'aime cette brûlure, une fois, deux fois, trois, quatre, respirer, le besoin de respirer qui ne quitte pas oblige les mouvements à être réguliers et tendus, décidément, j'ai souvent besoin de respirer, je ne vois pas comment, avec un tel besoin de respirer, je pourrais filer éternellement les immobilités bleues, mais ce soir, oui, c'est immobile, et l'horizon paraît presque à portée de moi, alors un mouvement et puis un autre, une fois, deux fois, trois, quatre, mon visage est dans l'eau, retrouver un peu d'air, la tête se tournant d'un côté, de l'autre, alternativement, tenir le rythme, tous les mouvements du corps se répondent les uns aux autres, et surtout, tenir le rythme de la respiration parfaitement indexée sur les mouvements du corps.

À un moment, je juge que je suis assez loin. Je les arrête. Le rythme se brise. Je me retourne pour regarder à quelle distance je suis obstinément parvenue de la côté, espérant ne voir plus que des silhouettes minuscules et colorées, presque rien, des épingles, espérant être soulevée mollement par les vagues presque imperceptible, ne faire que cela, quelques instants, retrouver un peu d'immobilité, entre le monde et l'horizon, je dois être à mi-chemin entre le monde et sa bordure verticale, sa bordure, vers quoi je tends, qui se perçoit seulement par le fin trait horizontal qu'elle trace à la limite de mon champ de vision. Je dois être à mi-chemin entre le monde et sa frontière, reposée par les vagues, bercée par elles, soulevée, puis reposée, un peu plus bas, parfois je vois la côté, ou l'horizon, parfois, je suis dans un désert liquide mêlant le bleu au vert et au gris.

Je ne sais pas pourquoi, à ce moment là, sans que j'y sois pour rien, sans que, en rien, je l'aie sollicitée, une phrase a traversé mon esprit, a choisi elle-même ses propres mots, son ordonnancement, son rythme propre, puis est venue, s'est fichée en moi, profondément, a transpercé mes peurs :de là où tu es, tu ne pourras jamais rentrer.