Est-ce à la matière que nous nous confierons ? Suivrons-nous les lignes droites, les courbes, les matières du monde sur lesquelles nous nous avançons ? Avancerons-nous sur le bois ligneux du parquet ? Sur la terre du chemin, poussiéreuse ou boueuse ? Sur les déchets noirs de pétrole qui tracent une ligne jusqu'à l'horizon ? Passages incessants, lumières clignotantes, les vrombissements au milieu des coups de frein… et les poussières.
À y regarder de plus près, nous verrions la trahison qui nous entoure parcourir le monde, s'infiltrer en lui, le pénétrer intimement. Elle ronge les cordes des bâteaux, les attaches, les encoignures, corrode les balustrades, attaque sans vergogne la pierre la plus dure, et parfois le marbre s'effondre dans un fracas assourdissant.
Érosion de par la force lente du temps, et son emprise obstinée. Le temple symétrique s'effondre en plein soleil, brise dans sa chute les arcs, les fûts hiératiques des colonnes ; les statues éclatent, s'éparpillent sous le choc. Plus tard, bien plus tard, un peintre viendra rêver ces ruines. Mais pour le moment, un monde s'écroule.
Y a-t-il ici un objet qui nous rendra nos certitudes ? Apaisera nos angoisses ? La ligne imaginaire qui dessine une frontière à travers le désert ne saurait nous tromper. Elle est née de la folie de généraux dont les cerveaux malades se représentaient des lieux géométriques. Et les tribus nomades les traversent, indifférentes, dans un sens et dans l'autre, les retraversent selon des cheminements connus d'elles seules.
Même la surface plane de la table de verre nous est un leurre. Si nous savions, nous n'y poserions plus rien. Plus jamais. Des précipices la parcourent. Les aspérités la hérissent. Votre main la croit lisse — mais aucune matière ne l'est. Nous habitons un monde friable. Il se délite. Part en morceaux (comme les éclats de la mémoire malade). Et tout finira en poussière.
Magnifique. Quelles pépites dans ces échanges ce mois-ci !
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