Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 30 octobre 2010

Carnets lointains, XXXII (crépuscule lent)


Dans le crépuscule bleuté, avant que les volets ne se referment sur la nuit, j'ai eu le temps d'apercevoir le trait lumineux et fugace que trace dans le ciel un avion dont il me plaît d'imaginer qu'il va de Paris à Tokyo, qu'il traversera dans la nuit les étendues blanches et glacées de la Sibérie et qu'il arrivera, dans la pâleur du jour, dans un matin hébété à l'autre bout du monde.


Si j'avais une prière à faire, avant de me laisser avaler par la nuit, pour effacer le jour, je demanderais que demain soit un autre jour. Cela donnerait lieu à toutes sortes de variations, sur une même ligne mélodique, dont j'aimerais voir les déploiements. Que les lendemains ne se dissipent pas dans le passé. Que l'écriture dessine des lignes claires, au lieu de griffer celui qui la regarde. Qu'un possible se diffracte, se scinde, se fissure, et que de ses fissures il en advienne d'autres, que les purs possibles se désarticulent comme des pantins et accélèrent le temps, parfois je m'ennuie trop dans la pesanteur des choses, je voudrais que le temps se laisse et descendre et remonter, comme un fleuve, dans lequel on ne se baigne jamais deux fois, cela n'importe pas, même si à contre courant cela doit être un peu plus dur et demander une intensité plus radicale, mais le temps se joue de nous et je demande, cela est contenu dans la première requête, que nous nous puissions réjouir de lui, que la gravité s'inverse et que la légèreté ne soit pas un vain mot, nous avons beau la chercher, je ne connais personne qui s'y tienne, fermement arrimée, ils sont tous tombés à l'eau dans des gerbes d'écume, je pense devant ce désastre qu'il est temps de prier, qu'il est temps de dissoudre les contours des objets, je me moque que mon regard ne soit pas scientifique, que les images des objets ne se superposent pas les unes aux autres, je me moque bien que les objets se fissurent, qu'ils s'ébrèchent, j'aime la porcelaine fendue, la tasse est infiniment fragile,  on joue à pile ou face, elle est transparente et dans sa transparence court un fil sombre, il est très facile de le voir, et parfois les deux bords de cette fracture craquent un peu quand le liquide est brûlant, alors on pourrait s'attendre à une dislocation de l'objet tout entier, et pour l'instant la dislocation est toujours retenue, possible, en instance d'instanciation, comprenne qui pourra, comprenne qui pourra pourquoi elle se fait attendre, encore une fois, dans la lumière qui décroît.

Et je n'y comprends rien, même si j'ai toujours préféré, au monde actuel, les purs possibles, fins, aiguisés, ceux qui ne se réalisent pas, et qui pourtant, avant que le possible ne se réalise, étaient l'autre branche de l'alternative, celle qu'on n'a pas saisie dans la chute dans le réel, celle précisément qui, avant qu'un possible ne se réalise, était aussi possible que lui. On s'y perd, j'en conviens volontiers, dans ces jeux infinis, le possible pur devient très vite impossible, mais le possible réalisé est passé, et le possible demeuré possible ne se réalisera plus jamais. C'est le temps qui a bien joué la partie. Je regarde le pur possible, suspendu dans l'instant, intact, possible pur que rien n'est venu ébrécher. J'ai toujours préféré cette pureté qui tranche dans le désastre du monde, où tout sombre, tout bascule, tout se fendille et se pervertit.

Mises à part nos rêveries, aux purs possibles suspendues. Précisément parce que c'est un désastre, il est inconvenant de prier.


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