Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 20 janvier 2011

Manuel anti-onirique, LV



Les reflets glissent sur les surfaces. Sans y prendre garde, sans même y prendre garde, les reflets de nous glissent, sur la flaque d'eau de pluie, dans la chaussée défoncée, sur la vitre des voitures garées le long de la rue, sur toutes les fenêtres. Nous y perdons un peu d'être, à chaque fois que nous avançons dans le monde. A chaque fois que nous sortons, dans la lumière du jour, nous laissons un peu de notre être épars dans le monde, quelques simulacres de nous, en suspension dans l'air du soir. Au crépuscule aussi, les reflets de nous se laissent piéger dans les filets de lumière, dans les surfaces polies et indifférentes, et nous rentrons, un peu plus pauvres d'être, un peu plus élimés.

Notre texture s'amenuise, s'épuise, peu à peu, sous le regard indifférent des miroirs impassibles.

Qu'advient-il de nos regards quand nos paupières un instant, sous l'effet d'une lumière trop vive, ou toutes les fois que nous battons des yeux, se ferment sur notre pupille noire ? Le monde ne cesse pas d'exister, tandis que nous nous retrouvons seuls dans l'espace clos de notre être. Lente dispersion de nous, érosion de notre être dont les contours peu à peu s'émoussent, voilà que notre voix est moins assurée, nos regards moins clairs se sont voilés de crépuscules, et les jours vont, ainsi.

Le bruit sec du verre brisé, à ses pieds, la force à sortir du cadre. Elle s'évanouit de la réflexion du miroir, se glisse à terre, hors champ, hors cadre, et toute sa concentration un instant se focalise, là, dans ce minuscule espace où le flacon brisé laisse couler le parfum. Une fulgurante odeur de jasmin se répand, que ses doigts porteront jusqu'à l'écœurement toute la journée sans que l'eau transparente ne lui permette tout à fait de s'en laver. Il lui faut ramasser, un à un, tous les éclats. Alors elle glisse à terre, le long du miroir, elle disparaît du monde et le miroir impassible reflète son absence du monde.

Le miroir réfléchit alors, sans que rien ne trouble sa surface parfaitement lisse, la pièce soudain vide,  reprend en écho l'absence d'elle, négation d'elle, l'instant d'avant elle l'habitait, ses gestes coulaient dans l'espace, l'instant d'avant ses yeux fixés sur la surface, fixés précisément sur la paupière qu'elle maquillait, le trait qui soulignait  d'un tracé sûr son regard.
Et l'instant d'après, elle a disparu du champ.

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