Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 24 janvier 2011

Manuel anti-onirique, LVIII


Un peu plus loin, il y aura le linceul.

Un peu plus loin, toujours en avançant, droit devant, aussi loin qu'il est possible d'aller, aussi loin qu'il est possible d'inventer d'aller, quelle que soit la force de nos représentations, et le pouvoir par nous exercé sur elles, un peu plus loin, droit devant nous, il n'y a rien d'autre que le fin tissu, et ses multiples épaisseurs, formant linceul. On peut jouer des variations, on peut en inventer différentes formes aussi crépusculaires que l'on pourra, autant que l'on voudra, un peu plus loin, toujours en avançant, il n'y aura jamais rien d'autre que cela : le linceul.

Alors, en attendant, aussi longtemps qu'il est possible de lui échapper, dans les interstices minuscules que nous laisse l'attente du linceul, il n'y a pas  à hésiter.
 
Choisir le mouvement est la seule décision incontestable. Avant que les multiples épaisseurs du linceul ne nous entourent, voile presque transparent, ne nous enserrent, plus léger encore que celui dont la nuit recouvre la terre, qu'elle effleure pour commencer, alors qu'un long frisson la parcourt, d'un fin crêpe bleuté, il n'y a pas à hésiter. Il n'y a rien d'autre à tenter que le pur mouvement.  Évidemment, la tentative est vouée à l'échec. Plus tard (mais si on y réfléchit, au regard de l'éternité, ce sera dans un bref instant, évitons d'y réfléchir), un instant si bref qu'il en devient une pure abstraction, qu'il n'a aucune épaisseur, aucune réalité, pure limite entre le présent absurde et l'avenir  rongé de l'intérieur par une pourriture ignoble (rien n'interdit ici, pour les besoins de l'horreur, de déplacer la très sainte limite augustinienne, cela n'importe pas), l'immobilité gagnera et tiendra toute chose en son sein. Nous, devenus insectes dans le cocon de notre linceul, immobiles, sans espoir de résurrection.

Avant quoi, il n'y a rien d'autre à faire que de déplacer les lignes.

Détourner le regard ne sert à rien. Fuir, cette fois, ne sera pas une solution. Ne sera d'ailleurs d'aucune utilité. Il faut écarquiller les yeux, ici précisément, sur ce point fixe, point aveugle de nos existences, dénué de tout rêve. Pas la moindre caresse. La pupille noire fixe le punctum caecum, dans lequel tout sombre, tout bascule continuellement, sans répit, sans relâche. Point immobile, dévoré d'une nuit dévorante et sans rêve. Sphère dont le centre est partout et la circonférence nulle part. 
Il est possible que ce soit là la condition ultime, à laquelle toute recherche d'un monde tendait. Retrouver le réel.

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