Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 20 décembre 2009

Vanités…, III

(En hommage à Jean Follain)

On revient, on reviendra.

L'étrange mélodie des pas qui nous portent, pour chacun d'entre nous, est unique au monde. Rythme du cœur — la vie palpite dans la marche, le déséquilibre contrôlé, repris. À chaque pas, un nouveau miracle, aérien et terrestre. Dansant au dessus du vide, et nous ne sommes pas encore tombés depuis que nous avons pris notre envol.

Mais la joie s'émousse, comme la lame rouillée d'un couteau.

On ressortira le service à thé anglais dont la fine porcelaine s'est portée à tant de lèvres. Peut-être encore une fois… les miettes se disperseront-elles dans les assiettes ; contre le service intact, miraculeusement, les fourchettes d'argent tinteront discrètement. Les ont-elles ébréchées… Le lait gonflera ses volutes dans la boisson brûlante. Et l'après-midi passera, à l'abri du vent qui dehors secoue les grands arbres.

On lèvera avec des gestes attentifs les flûtes de cristal ; les bulles du champagne encore une fois élèveront leurs colonnes aléatoires. La transparence de l'instant n'occultera rien. Et les rires se tisseront capricieusement — jusqu'à quand ?

On ne remarquera pas la fissure qui court sur le grand plat de service. Il résiste encore bien à la morsure du feu. Les plats fumants sortent du four, il faut des mains très assurées pour les porter jusqu'à la table et les enfants s'écarteront puis tendront leurs assiettes en riant.

Mais les générations reculent dans l'oubli. Quelque chose s'est ébréché. Le vieux réveil ne marche plus, sur le rebord de la cheminée. Quelque chose qui grince et dissone est en passe de prendre le dessus. À jamais.

5 commentaires:

  1. Ah ce pacte "passé" avec la vie ! corrodé patiné et qui ne tient qu'à un souffle...Cette nature morte est "superbe" !

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  2. J'aime ces dissonances imperceptibles de la vie quotidienne.
    Cette tasse ancienne ébréchée que je garde parce qu'elle raconte mon histoire.
    Cette légère éraflure rarement repérée par plus de deux ou trois personnes à la fois dans une réunion ou une fête.

    Et je ressens les affects que tu ne dévoiles qu'à peine.
    Merci pour ce moment.
    @SabineWe

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  3. cette finesse! je compare ça au bruit du flocon qui tombe dans l'eau! l'idée m'est venue d'un polar de Craig Johnson ( Little Bird), sans doute pas ta tasse de thé...l'apogée et la décroissance du son tient en un millième de seconde ( ça dérange les sonars des savants qui étudient la migration des saumons tout de même)...je cite Johnson: "On suppose qu'il y a des bulles d'air qui sont émises par le flocon, capturées par l'eau qui monte. Chacune de ces bulles vibre en essayant d'atteindre l'équilibre avec son entourage et émet des ondes sonores, un cri si faible et si aigu qu'il est indétectable par l'oreille humaine". Tu dois avoir une ouïe très fine pour entendre ce qui grince, mais c'est merveilleux comme tu le fais entendre, avec la joie aussi, ces enfants qui rient! Je confirme donc que ça ressemble au bruit du flocon !

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  4. commenter tes textes? quand on n'a pas cette acuité! avec mille excuses pour la lourdeur, je lève - on lui doit ça- la métaphore de Craig Johnson, sa métaphore aux flocons qui crient dans la rivière, qu'il n'a produite que pour évoquer un "nombre épouvantable de voix qui résonnaient dans [sa] vie, si ténues et si aiguës qu'elles en devenaient indétectables pour l'oreille humaine".

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  5. C'est curieux... La vanité, la fissure, thèmes universels. Pourtant : en lisant ce post, je ressens l'Europe si fortement ! Une Europe d'hiver, enveloppée de petites attentes froissées, d'amertumes aiguës, de joies comme clochers. Il me semble (mais je peux me tromper) que ce texte n'aurait jamais pu être écrit dans l'hémisphère Sud. Les fissures d'ici sont différentes... La vanité n'y a pas tout à fait la même odeur.

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