La main se glisse dans le désordre des poches. L’une. Puis l’autre. Systématiquement. L’accroc dans la doublure sans doute se modifie : la bague effiloche le tissu, s’enroule, agrippe un fil qui, tiré, déchirera un peu plus le tissu soyeux, au plus près du corps ; quelques pièces glisseront au fond, dans l’ourlet, leur tintement imperceptible ponctuera la démarche, balancement des pans, et équilibre tenu au dessus des ornières pendant la déambulation.
Le paquet de cigarettes est vide ; il finit froissé.
Désordre des poches, la main y retourne, estime au jugé le vrac des objets minuscules, évalue les possibles, le bout des doigts affine la recherche avec toute la finesse dont ils sont capables, soupèsent, ils retournent les composantes infimes de cette somme méréologique, qui répète dans la matière la pulsation quotidienne de la vie. Le léger tintement, un cliquetis peut-être, se fait entendre.
Mais la clef n’y est pas.
Rien ne presse… les doigts évaluent l’imprévoyance d’un billet froissé, soupèsent un peu de monnaie en suspens (elle finira par trouver la déchirure, elle finira elle aussi par tomber),… jouent un instant avec l’angoisse légère de la boîte à pilules… la vie défile… un agenda un peu corné… un crayon gris, presque entièrement usé, porte des traces de dents… L’investigation distraite se poursuit. A présent ils caressent des souvenirs impalpables… un marron d’Indes, minuscule… il aurait dû être tendu à la main ouverte de l’Enfant… mais la grâce de ce jeu est passée…
À soupeser ainsi le contenu de la poche, on ne rencontre que la fragile évanescence des jours. Talismans pitoyables que nous emportons dans la course … qu’ils nous lestent de leur présence, qu’ils nous ancrent dans le monde — et conjurent cette peur de n’être qu’un rêve.
Est-il prudent de nous confier à ce désordre que nous sommes ?
lester, ancrer, vainement? cette fuite sous les doigts, vers ce fond de manteau, encore une fissure...il faut prêter son attention, la vanité est discrète, profondément. Permets que j'en souris en pensant au nudiste sans poche, qui ne comprendra pas. J'ai compté les miennes en te lisant, suis arrivé à 16 ( déambulant dans le froid, pas maintenant, rien que la parka en a 8 et la polaire 3). Mais ce n'est pas si fin que toi, qui a contourné l'inventaire, dont l'objet est différent : 4 jeu de clés, sans compter l'automobile, papiers, chéquiers, monnaie,livre, dvd ... vie en éclats. la majuscule à l'enfant? quant à endif et supportEmptyParas , quel poète disait "et glo et gli et glu et s'englugliglora"? J'ôterais, mais je ne suis pas malin. Un vrai plaisir de lire ça. Plaignons les sans poche, privé de cette impudeur
RépondreSupprimertalismans, légère incantation, main refermée sur un secret fragile, en regard la perte, des peurs, la fuite du temps. Une écriture tisse cela - en regard est donc faux, le rythme, solide et liquide, montre et cache, paysage de brume, montagnes et vallées, une métaphysique. pourquoi pensai-je à des estampes?
RépondreSupprimerla vanité classique convertit par un regard forcé sur l'impermanence, sa teneur en néant, sa valeur énergétique et nutritionnelle nulle. Ce n'est pas alors que fumer qui est tuant. Qui sait si vivre n'est pas mourir? pas faux non plus! Ici, près de tes textes, anti-parménidiens, pas de substance séparée, juste son absence infuse, et ainsi sa présence en creux ( pas le mot), pas de quoi édifier, mais rendre sensible, précisément. Pas seulement sensible, intelligent aussi, critique ( de l'objectivation de la substance). Pourquoi n'a-t-on pas dans la vie une conversation si étudiée? Parce que la vie ce sont ces petites choses auxquelles on tient, absorbants refuges. TU déranges les faux apaisements, donc ce sont des vanités. On n'en est pas plus tranquille, pas du tout. S'y tenir. Les abstractions ( s'excuser pour "substance" )ne dénouent pas. L'anecdotique nous perd. On parle trop de toutes façons, le silence ne peut traverser, iriser notre inquiétude. Sauf ici. Faudrait pas commenter. C'est pas un commentaire. Un écho pâle tout au plus.
RépondreSupprimerPour ma part, le désordre m'anime. J'ai horreur du lissé, du propre, du bien rangé. C'est un avantage qui flatte ma paresse, c'est sûr. J'ai horreur des maisons rutilantes où les sols, les meubles, les murs semblent être posés là en représentation d'une vie exsangue. Mon bordel me réjouit en somme. Il fait partie de moi jusque dans mes poches gorgées de vieux tickets de parking, d'autoroute ou de cinéma. Traces infimes de mon abstraction au voyage ;)
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