Je me demande où nous sommes…
Si nous nous défaisons des conventions, et même s'il est entendu que le paysage défile, bien sûr, il nous reste encore quelques repères, la vitesse ne nous a pas fait tout perdre, j'en conviens, une citadelle abrupte sur un éperon barré, les éoliennes battant à la même cadence l'air de leurs bras épais, il y a peut-être un léger décalage, la fumée épaisse, verticale des tours de la centrale nucléaire, et même l'ombre de la montagne qui se détache sur le ciel crépusculaire,
si nous enlevons tout cela, je me demande où nous sommes. Sommes-nous vers les abords de Lyon, ou bien remontons-nous la voiture 5 vers le wagon-bar ? Je suis perdue …
Au moins le long courrier dans le ciel à la verticale de ce monde s'est-il arraché au sol dans un effort presque héroïque ; puis il a traversé la masse des nuages, retrouvé le soleil et trace à présent dans l'éther un trait presque parfait — dont la ligne se délitera peu à peu après s'être épaissie — puis retrouvera le sol dans un geste d'oiseau blessé.
Nous n'avons rien fait de tel. La lourde masse du train s'est mise en mouvement presque poussivement, et suit depuis lors le quai, le tracé qui lui est alloué, jusqu'à frôler d'autres quais, freiner peut-être, reprendre sa course, de nouveau laisser l'inertie le reprendre à l'arrivée dans une dernière gare, avant de tout recommencer.
Mais entre Aix et Paris, où sommes-nous ? Je ne demande pas, comprenez, un lieu géographique. Les coordonnées de ce point (longitude, latitude) ne sont ici d'aucune pertinence. Ce point, nous n'y restons pas. Zénon(s) paradoxaux, nous y passons et nous n'y passons pas. Et de ce qui instancie chaque point dans le monde, de ce qui le particularise, en fait mon lieu géographique ici et maintenant, ombre, vallée, descente, pont sur le fleuve, frôlement de l'autoroute, cela ne nous est rien. Sans passer par aucun point de ce monde, nous revenons d'Aix à Paris.
Pourtant nous sommes sur le sol. Ancrés par l'acier et les lourdes traverses dans la terre. Déplacés d'un point terrestre à un autre. Mais entre ces deux points
je ne comprends pas où nous sommes…
Très joli, ce que tu écris.
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