Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 24 juillet 2010

Cahiers d'un autre été, XVII (simulacre)

Écartons d'emblée un point de pure exégèse : les simulacres sont ces pluies d'atomes qui, si l'on en croit les Épicuriens, se détachent des objets et viennent frapper nos yeux, permettant ainsi la vision. Cette conception matérialiste de la perception perce une des grandes énigmes de la philosophie : pourquoi voyons-nous, de loin, ronde, la tour qui se révèle carrée si nous nous en approchons ? En se détachant de l'objet et en parcourant la distance qui le sépare de nous, le simulacre se déforme légèrement ... Et donc nous voyons ronde la tour qui, de loin, etc... J'avoue que jusqu'à aujourd'hui j'aurais été bien incapable de ressentir le sens profond de ces énoncés. Il y a des moments où, pour bien comprendre la philosophie et tous ses concepts, il est essentiel de les rêver à l'ombre d'un cerisier (centenaire et blessé, ou sur un banc mille fois repeint dans toutes les nuances de vert, sous le soleil brutal du début de l'après-midi).

Le monde se déforme légèrement comme sous la fluctuation capricieuse de nos souvenirs. Je ne suis pas plus sûre de lui que de ma mémoire.

Simulacres. L'enfant dans l'axe de l'allée qui mène au cerisier. L'année dernière sa robe était trop longue. Elle passait en riant, mimait une hsitoire compliquée que je ne comprenais pas entièrement et manipulait un bâton qu'elle a brisé depuis. Elle est différente de celle qu'elle fut, dans cette lumière du matin, plus grande, plus assurée, plus complexe aussi ... et au détour d'un rêve je viens de croiser le simulacre de ce qu'elle fut dans ce rituel complexe et narratif auquel elle m'initiait un jour d'un autre été.

Son simulacre court, rieur, sans voir celui plus effacé, plus lointain de Lui qui ne passera plus mais dont il reste cette tâche de couleur, un pantalon bleu, et la brouette immense, et pleine, dans ces allées, et l'arrosoir de métal à peine rouillé, et Lui, penché sur la terre qu'Il bêche avec gravité, et ce monde immense et minuscule qu'est Son jardin, sous Sa protection, de sorte que seul Il a le droit d'y accomplir certains gestes, ainsi lorsqu'Il me tend dans le soir qui tombe une poire minuscule et pleine de saveurs, alors que j'arrive de voyage et que l'été commence par ce geste, et se déroule devant moi, infini et trop vite enfui.

Et Elle, plus lointaine encore, dont je ne me souviens pas, appuyée sur un grand cyprès que je n'ai jamais vu. Et dont la présence est intacte.

Et plus légers encore que tous les simulacres, non plus des souvenirs de ceux que j'y ai vus, non plus des souvenirs qu'on m'a dits, mais simplement des souvenirs de rêves enfuis, de tous ces rêves bruissants qui passèrent là, souffflèrent leurs possibles, et leurs élans, et se brisèrent un peu plus loin dans le vacarme du monde, se délabrèrent de l'attente, se fracassèrent sur le mur de galets ronds et polis que la rivière a usés jusqu'à l'épuisement de toute aspérité.

Je crois même que je les ai oubliés mais peu leur importe, ils passent ici, aussi informes soient-ils, aussi difformes soient-ils.

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