Il faut imaginer un point (minuscule), glissant le long de la ligne à grande vitesse du sud-est de Paris à Marseille, sur une distance de neuf cent quatre-vingts kilomètres (ou huit cent quatre vingt dix ?). Il faut fournir un invraisemblable effort pour s’imaginer devenu point minuscule, descendant le long de la ligne à grande vitesse, entre deux cercles, deux épingles rouges sur la carte. Seul un travail aigu d’abstraction permettra de se représenter soi-même comme un point minuscule, descendant en trois heures et dix-sept minutes le long de cette ligne incurvée, qui part de Paris, frôle un fleuve, se termine à Marseille.
C’est presque impossible.
Le train traverse le paysage, toujours le même, qui glisse sur la vitre.
Il n’est possible de rien — ni de tendre la main — ni de sentir la vivacité de l’air — ni de marcher dans ce paysage, rendu plat sous le trait que trace cette ligne de laquelle aucun de nos rêves, aussi puissant soit-il, ne nous fera jamais dévier. Condamnés que nous sommes à ce mouvement pendulaire Paris-Aix-Paris-Aix-Paris (sauf certains, qui ont l’air heureux, qui partent en voyage et peut-être sentiront sur eux le vent de la mer).
L’impossibilité de l’écart rend le voyage vectoriel.
Un tunnel duquel nous ne pouvons sortir. Dos au paysage —j’avance, point minuscule, dont la présence ou l’absence à elle seule ne changerait rien. (Je) glisse le long de cette ligne, à une vitesse extravagante, qui pourrait l’être plus, qui l’a été moins. Me voilà propulsée dans le paysage — sans en rien sentir —. Je suis incorporée à un tube métallique pressurisé — et rien ne m’assure plus de son horizontalité.
(Je) pourrait être n’importe qui et s’absorbe entièrement là, dans la parenthèse, ouverte, refermée, pendant trois heures dix-sept minutes. (Je) n’est rien d’autre qu’une variable frégéenne.
Rien ne garantit l’horizontalité du paysage. Une chute en arrière serait possible. Tombant ainsi … une chute sur le dos… pourrait fracasser, mais ne surprendrait pas outre mesure. Elle ne serait pas même vertigineuse. Alors que celle d’Icare, ne serait-ce qu’un court instant, l’instant bref de son extase, a dû être … vertigineuse.
Tombant ainsi qu’Icare dans le paysage horizontal, (je) passe inaperçu(e), Icare inaperçu, et m’écrase sans bruit au terminus, où je me relève et me remets à marcher, un peu ivre, dans ce non-lieu gris auquel tous nos voyages aboutissent.
Vous êtes perdu, à cet endroit du texte, ne savez pas de quelle gare je parle, dans quelle gare ce miracle a lieu quotidiennement, tous ces Icares qui se relèvent, reprennent leur fardeau, et se remettent à marcher, leur valise à la main, leur sac sur l’épaule ? C’est donc bien cela… l’abstraction au voyage.
Totalement transportée par ton texte ! comme si un "intérieur/extérieur" défiait la matière, la durée, la perception de soi sensible dans un espace en vis à vis un peu comme s'il existait un lien insaisissable entre ce "moi"juste "regardeur" et l'horizon. Bref !:-) je ne sais si Icare a fait un long voyage et fut heureux ... mais ce texte m'emplit de joie !
RépondreSupprimerJe ne me risquerai pas à trouver choses cartésiennes dans tes deux textes. Et pourtant. C'est intéressant cette méthode que tu as appliquée dans ces deux textes en te servant de points eurythmiques mais néanmoins arithmétiques. Ces heures précises qu'elle soient filantes sur les rails ou statiques dans cette gare de transfert restent immuables, immobiles et pourtant toi, tu bouges. Pas dans le mouvement physique mais on sent bien que tu bouges intérieurement.
RépondreSupprimer'fin, bref, je suis pas clair mais c'est très intéressant.