Quand l'été finissait, on faisait revenir en cuisine le grand chaudron de cuivre qui avait attendu son heure dans le couloir. Il avait passé là des jours indifférents, pluvieux ; le vert-de-gris avait fait son œuvre sur ses parois. Il s'était déposé. L'avait rongé. Lentement. Sa menace s'étendait sur les flancs auxquels il n'était plus possible de rien confier. Calmement il avait envahi le monde domestique.
Son poison menaçait, il était au centre de leur attention.
Alors les gestes revenaient,
Elles reprenaient leur tâche,
Protégées derrière des tabliers immenses et blancs qui soulignaient leur silhouette dans la pénombre des volets pas tout à fait ouverts.
Je me souviens
du vinaigre qui bouillonnait dans le ventre du chaudron,
de son odeur âpre et des yeux qui pleuraient,
et de la colonne de vapeur que la cheminée ne suffisait pas à aspirer.
Alors
quand de nouveau ses flancs brillaient, qu'ils avaient retrouvé leur éclat orangé,
elles versaient dans sa gueule ouverte
les fruits gorgés de la lumière et du vent de l'été, et des chaleurs que nous avions fuies derrière les murs épais,
et les ensevelissaient sous le sucre qui scintillait
avant de sombrer…
Même si nous sortions, même si nous nous éloignions,
l'odeur douce monterait, resterait après même que le feu fut éteint,
elle nous écœurerait presque, le soir venu,
dans le secret de nos lits,
nous étreignant encore. Nous reverrions sans le vouloir les cuillères de bois, longues, dégoulinantes au dessus de l'assiette blanche, un peu ébréchée, cette tâche sur le sol noircie du passage imprudent et joueur de nos pieds nus…
Certitude de l'été pour les matins d'hiver… Les pots s'aligneraient demain sur les étagères, repartiraient dans les valises, serviraient de menue monnaie envers les voisins. Pour le moment, ils attendaient sur la table de la cuisine déserte. On n'entendait plus que la petite pulsation de l'horloge.
je trouve très belle cette évocation de fin d'été, ça me rappelle à mon tour les gros fait-tout sur pleins de prunes qui mijotaient pendant des journées entières sur la cuisinière, qu'il fallait remuer de temps à autre pour que ça ne colle pas au fond et qui embaumaient toutes la maison.
RépondreSupprimerLa crème très consistante de pruneaux qui en sortait était presque secondaire, presque ...
ça me rappelle les pâtes de coins que ma grand mère mettait à sécher dans son grenier. Le matin, elle pestait contre des petites souris virtuelles qui avaient laissé l'empreinte de leur pouce droit (oui les souris ont des pouces) dans la mixture encore fraîche.
RépondreSupprimerc'est intéressant cette vision et cette discussion, dans le musée d'art et tradition populaires ou je travaille (j'ai fait un reportage sur la pate de coingue , aussi ; il veulent à tout prix dépoussiérer, on organise des ateliers d'écriture à partir du patrimoine/territoire et bien sur des objets du musée, et il faut gommer le mots passé, j'avoue que ça m'a posé problème , mais c'est surement un discours , on dit que tout est au présent, on ne parle pas de réminiscence mais de vue au présent , mais le passé est là , à moi que ce spoit moi qui ne comprenne pas quelque chose , on verra le résultat , (l'animatrice de A d'E n'avait pas l'air de comprendre non plus ! bon , on verra bien !
RépondreSupprimerJe me rends compte en lisant vos commentaires qu'il y a quelque chose, comme je le supposais, de très profondément inscrit en nous dans les senteurs, et les souvenirs de senteurs, qui s'adresse à cette part d'enfance que nous gardons en nous, bien longtemps après, même quand elle n'est plus dans le regard des autres, et qu'elle continue d'être dans le nôtre.
RépondreSupprimerLes mots se dégustent ici à la petite cuillère. Régal, justesse.
RépondreSupprimerJe suis heureuse de perpétuer cette tradition des confitures, connue depuis l'enfance et mes proches se régalent aussi des odeurs de cuisson et d'ébullition en venant chercher l'assiette brûlante d'écume, envoûtés par les parfums.
J'aime aussi transmettre mes pots en cadeaux, concentrés de senteurs et de moments heureux qui s'épanouiront à l'ouverture du pot dans l'hiver.
J'ai mis le lien vers ce beau texte sur le groupe des confitures créé par une amie sur FB : "Les confitures de Sabine" http://ur1.ca/b9mq
Merci !
fait si froid, je plonge ici, étonné de la qualité de ce blog,sans souvenance mienne, cela m'a manqué, mais grâce à toi, une enfance, la " certitude de l'été pour les matins d'hiver" , toutes ces senteurs sont un refuge, ce serait si bien de pouvoir avoir un livre de tout cela, de l'emporter, de le garder, pour les hivers, tant qu'il y en aura, même si tes textes contribueront incivilement au réchauffement planétaire ( si seulement!)
RépondreSupprimeroublié de dire que si cette enfance m'a manqué, c'est à ces textes que je dois d'en prendre conscience, rien de grave puisque avec ce manque, ces textes offrent le complément ( alimentaire, ces confitures!)
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