Comme autrefois dans la nuit tiède, Hamlet s’avance et ne s’avance pas.
Derrière les fenêtres voilées de cette pièce rendue trop lisse par les néons, au loin, se déploie toute l’extension inatteignable de la ville, dont je n’imagine pas encore les plantes aux volutes repliées s’enroulant sur elles-mêmes pour s’ensuite dérouler au mystérieux gré de leur génération et de leur floraison, plus immense encore que les rêves qui la parcourent. Cependant que leurs minuscules particules de pollen s’insinue dans le souffle d’air de nos respirations, et que leur insensible exhalaison pénètre nos vêtements et nos chairs, je fixe l’écran couvert de signes, dans l’immobilité de qui va s’élancer, ne s’élance pas encore.
Dans la nuit tiède, il s’avance et ne s’avance pas. Au bord du gouffre. Ne se retient à rien. Vacille.
Mes mains sont glacées sans doute de la pluie fine, peut-être est-ce la peur qui les immobilise sur le clavier ; elle les retient de tenter une nouvelle phrase. Il ne sera possible que de dire d’une voix point trop monocorde ce qui s’inscrit sous mes yeux. Il faudra jouer la partition sans rien improviser, dans une langue qui n’est pas mienne ; à tout instant, il se peut qu’elle se dérobe, il ne peut être exclu qu’elle m’abandonne dans les arcanes d’une pensée rendue silencieuse, qu’elle rompe ainsi sans scrupule le fil de mes idées. Il deviendrait alors impossible de le ressaisir. Le mouvement tout entier doit être contenu dans son commencement. Je le sais. Il ne peut s’agir que d’un pur déploiement des inférences.
Personne ne détourne son bras et quand il sera trop tard, tous se récrieront d’une seule voix, il a tué Polonius — il ne le sait pas mais son ignorance ne change rien.
La fixité du temps et de l’espace clouent sur place, ici et maintenant, dans un ici inconnu. Je ne peux qu’imaginer des sommeils que je connais et que je ne connais pas dans des chambres aveugles ; plus tard, des mains soulèvent selon des gestes séculaires de fragiles tasses remplies d’un thé vert et mousseux, dans un matin presque froid. Je tente de les reproduire ; ils se dérobent à mes membres devenus raides. Le monde s’ouvre en un vaste vertige. Les miroirs se couvrent de buée, se refusent à me renvoyer mon image. Je me souviens, d’une vitrine, de cette poupée sans tête, elle avait la taille d’une petite fille, habillée d’une robe de tulle rose ruisselante de pierreries. Il y en avait deux, réparties de part et d’autre de la porte fermée. Aucune n’avait de tête. Je ne sais plus ce qu’il y a derrière la vitre. La lumière blanche des néons n’empêche pas l’impression tenace que je suis plongée au plus intime d’une nuit lointaine, dans laquelle les yeux de ceux qui sont chers à mon cœur se referment sur leurs rêves. Il faut en retour la traverser et à l’instant transpercer le silence.
Comme sa lame a traversé les chairs dans l’axe de son bras, j’entends soudain ma voix :
« From a modal point of view…
mardi 30 mars 2010
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