Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 22 mai 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 20 (lacération)

Petite lacération temporelle. Les journées peu à peu ont arraché des bribes de mes souvenirs. Elles ont rongé les asiles possibles qu'un instant je crus entr'ouverts. Il flotte des images inventées et des comparaisons fausses dans les respirations espérées.

La minuscule tasse à thé, presque translucide tant elle est fine, décor infiniment complexe, une femme avec une ombrelle relève un pan de sa robe pour traverser un cours d'eau, et laisse ainsi apparaître le bout étroit de son pied, est toute entière traversée d'une longue estafilade qui la fragilise. Je craindrais, en la soulevant sans la soutenir, que le liquide brûlant ne fasse éclater la longue fissure qui la parcourt.

Pour y entrer, il fallut se dépouiller des rêves d'autrefois et du sommeil, ne presque rien emporter de soi, tendre son passeport dans la lumière grise de l'aéroport, et accepter quatre nuits sans repos, immenses, silencieuses, solitaires, jusqu'à atteindre une sorte d'attention extrême au monde et aux choses. Alors il devint possible de dire.

Je dois me tromper et ces images sont d'un autre lieu. Elles se superposent et sans doute trahissent les analogies. Pour le moment, je ne les ressaisis pas. Le temps fait son œuvre et érode même mes souvenirs. Il est très peu probable que, dans la fraîcheur du matin, elle m'ait servi du thé dans une tasse ébréchée. Elle apporte, presque en glissant sur le sol, dans un déplacement régulier, un plateau parfaitement disposé, et à présent elle fouette la poudre de thé dans l'eau bouillante. La tasse est minuscule, je ne comprends pas comment ses gestes peuvent être aussi rapides sans faire jaillir un peu de liquide sur la surface lisse et laquée de la table basse. Sa main tourne un minuscule fouet d'osier et la mousse se forme à la surface, mais aucune éclaboussure ne s'échappe.

Puis elle m'impose doucement les gestes qui conviennent (soulever la tasse dont la figure décorative est face à moi, la tourner légèrement, la soutenir de l'autre main, boire d'une traite le liquide coloré et brûlant et finir en aspirant toute la mousse verte pour enfin reposer la tasse en prenant garde à ce que la figure soit toujours face à moi).

Je n'y arriverai pas… cela me paraît insurmontable… ma main résiste, ma gorge se serre, l'épreuve étrangement me paraît insurmontable et j'échoue sous leurs rires, dans la fraîcheur du matin…

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