Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 30 septembre 2010

Carnets lointains, XIII (déplacement)


Je ne sais pas combien de temps je suis restée là, à attendre que le monde reprenne une texture un peu plus dense. J'attendais. Le temps passait. Rien d'autre à faire que de subir les modifications de l'espace et des sense data. Les montres et les horloges ne parvenaient pas à retenir mon attention, qui fluctuait et choisissait ses objets, sans que je puisse influer sur ce processus. Certains traits saillants, qui l'instant d'avant ne l'étaient pas, réduisaient au silence, brutalement, ceux qui, un instant auparavant occupaient le devant de la scène. Ces saillances absurdes s'apaisèrent assez pour que je puisse envisager de repartir dans la ville, dans la nuit qui semblait ne pas finir.

Je suis descendue dans le métro, sa chaleur tiède m'aspirait, elle montait par bouffées, et faisait monter vers nous des odeurs doucement nauséabondes, il était facile, cependant de s'enfoncer en elle. Un premier ticket démagnétisé rendit un bruit sourd. Il alluma une lampe rouge qui signala ma tentative intempestive de passer indûment. Un second suffit à ouvrir le portillon, et rendit son calme à la machine, il me permit de passer. J'étais encore trop mal assurée sur mes jambes pour tenter une fraude et m'arracher à une pesanteur qui m'avait si violemment reprise. Les escaliers dégringolants me suffiraient, qui s'enfonçaient dans les profondeurs de la ville.

L'abstraction de la ville, alors, devient absolue.

Il est impossible, à 40 kilomètres heures, dans ces tunnels sombres, puis éclairés, de nouveau sombres, de se représenter, même fugacement, la vie qui, quelques mètres plus haut, déploie son activité dans tout le réseau de rues, d'avenues, de passages qui alimente l'espace en silhouettes furtives, lasses, fatiguées, pressées, en retard, désœuvrées, brisées, âgées, surchargées. Il ne reste plus que l'alternance lumière ombre, et les fils électriques, les portes qui s'ouvrent et se referment. L'accélération. La décélération. Et de nouveau ombre lumière. Les portes s'ouvrent se referment. Et le mouvement reprend.

Il n'y avait pas de place assise, même à cette heure incalculable.

Alors, debout au milieu du passage, j'ai appuyé la tête sur mon bras levé. J'avais en tête une chanson que je me repassais sans cesse, pour l'avoir écoutée si souvent, je la connaissais entièrement, complètement, et je pouvais à volonté recréer l'hallucination de l'écouter, et non pas simplement l'impression de me la redire à moi-même, dans le creux de ma conscience. Il suffit d'un peu de concentration et de beaucoup de fatigue pour recréer ce phénomène, car absurdement les hallucinations résistent même quand nous savons qu'elles sont des hallucinations. Le savoir ne les annule pas, elles perdurent, elles résistent. On n'y peut rien. Il faut les laisser cheminer dans le monde.

La fatigue m'a fait fermer les yeux. Mon visage, au creux de mon bras, me faisait respirer l'odeur de mes vêtements, le daim de ma veste, mon parfum, mon monde intérieur, tout se mêlait, se fondait, se confondait, le vent tiède qui passait sur mes cheveux faisait danser quelques mèches lisses qui caressaient mon front, il me semblait, autrefois, il y a très longtemps, être sur la route des vacances, à l'arrière de la voiture familiale, les fenêtres ouvertes laissaient rentrer l'air doux de la route d'été, je me laissais bercer par la route, par les voix connues, par le roulement de la voiture, par le temps calme.

Tout cela n'est qu'un souvenir défunt.

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