Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 2 mai 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 19 (noyade)

Ce doit être ainsi que les noyés s’y prennent pour descendre dans les profondeurs.

Ils commencent par lutter, ils se fatiguent, avalent l’eau salée qui les fait tousser et étouffer dans l’écume des vagues. Leurs mouvements sont désordonnés. Ils se débattent. Ils se désarticulent. Puis sous le poids de la fatigue, ils coulent à pic.

De l’avion, par le minuscule rai de lumière que j’avais sauvegardé, je ne voyais pas de vagues, et encore l’écume que je leur aurais rêvée. Je ne voyais que la surface lisse d’une mer inconnue, dont j’ignorais même le nom, et je me souvenais de ce qu’enfant, on m’en avait dit, pas n’importe qui, bien sûr, quelqu’un que j’écoutais, qu’à cette hauteur là, si je la heurtais, elle ferait sur moi le même effet qu’un mur de béton, et je ne parvenais déjà plus à lier les deux idées que tout sépare, mais il faut penser que j’avais à l’esprit cette image d’un homme qui tombe du ciel dans la mer, et que je me demandais s’il était possible, alors, de revenir à la nage, en se laissant porter par les vagues, en s’abandonnant à elles, et les laissant nous ballotter, même dans une mer inconnue. Et on m’avait dit que c’était impossible, que la violence du choc ne laisserait qu’un espoir, celui de se noyer dans l’épuisement de la lutte et l’eau salée qui brûle les yeux.

Ainsi Icare n’aurait donc pas rejoint à travers les courants les rivages qu’il espérait. J’en étais désolée pour lui. Icare, tombé verticalement, et dont il faut imaginer que, un bref instant, au moment où il a touché le sol, où il est entré en contact avec la surface du monde, sa joue inclinée a senti la caresse de ce contact, avant de terminer sa chute en s’écrasant lourdement sous son propre poids, sous le poids de sa lutte vaincue, dans le bruit de verre brisé qu’ont dû faire, alors ses rêves éparpillés autour de lui. Scintillement.

Ainsi, à choisir entre l’écrasement sur le sol, et la noyade, je choisis la lente descente pleine de l’eau salée des larmes ; abandon vers les profondeurs. Ils me regardent, et leurs regards coupants comme des lames m’épuise, je sombre, ils attendent de moi que je parle, le cliquetis mécanique des claviers, les yeux fixés sur moi, les face-à-face sans chaleur me font tous le même effet, je descends un peu plus loin dans les abîmes, la pluie tombe sur la ville, elle ne cesse donc jamais, les rues sont glissantes, je glisse puis me noie, il n’est pas possible de me relever, si je tombe, cette fois il ne sera pas possible de me relever, le silence et les paroles s’entrecroisent, mais je ne comprends pas un mot, certains parfois me saluent d’une courbure de leur corps, et peut-être est-ce ainsi que les noyés se saluent dans les méandres de la mer, au milieu des longs filaments verts des algues caressantes, quand ils ont tout abandonné et qu’ils se laissent aller aux délices de la noyade.

Je ne sais pas quel appui a trouvé mon pied pour encore une fois, dans un dernier effort, une poussée désespérée, me faire remonter verticalement à la surface du monde.

2 commentaires:

  1. me suis noyée..
    à approcher et Icare et la mer..
    me suis retrouvée happée là.. au fond..
    dans ce bleu immense..

    et je me suis aperçue que cette mer..
    elle s'était glissée entre tes lignes..
    alors je l'ai entendue fleurer les rochers..
    me suis apaisée..

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  2. combien de fois encore, notre pied, dédaigneux de notre désir d'oubli trouvera t il encore ce fallacieux eccueil qui nous fait remonter, encore
    Dona Ferrentes

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