Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 11 novembre 2010

Carnets lointains, XLIII (flux)


Flux et reflux. 

L'avancée des flots, même dans la nuit aveugle. La vague avance, se déroule, s'enroule, dans une gerbe d'écume, et des éclaboussures immenses, elle entraîne avec elle les minuscules débris des coquilles par elle réduites en éclats innombrables, elle entraîne avec elle les pierres parvenues à un point tel d'usure, une usure si extrême, de toutes les strates envisageables, qu'elles ne sont plus guère que sable, 

et à ce point si extrême de l'effacement des choses, elles font affirmer à certain philosophe sceptique qu'elles n'existent pas, puisqu'elles se laissent arracher peu à peu des atomes, jusqu'à se laisser réduire en sable, encore, jusqu'à n'être plus rien, et il faut imaginer sa silhouette fine qui laisse glisser les grains entre ses doigts, et songe au paradoxe du sorite, et le modifie, le déploie, le prend, puis décide que les pierres n'existent pas puisqu'insensiblement elles se laissent réduire jusqu'au néant qu'alors elles doivent bien être…  

puis, une fois que la vague a accompli ce déplacement selon le lieu depuis le fond de l'horizon,  elle s'étale sur la plage jusqu'à n'être plus qu'une minuscule pellicule d'eau, luisante, sur la surface du monde qui bientôt l'absorbera, suffisamment forte, cependant, pour y dessiner une courbe hésitante et tremblée que les rêves suivent aisément dans un mouvement immobile, pendant que les marcheurs la croisent et la recroisent sans prendre garde à elle, et qu'un enfant rêveur les suit depuis déjà longtemps.

Les idées dans la nuit ne font pas autre chose.

Elles montent des fonds secrets de notre obscurité, dans un silence sidérant, et une fois qu'elles ont atteint la surface de notre conscience, elles se déploient telles des fleurs immenses et monstrueuses dans l'esprit sans défenses, elles instillent en lui leur parfum écœurant, entêtant, obsédant, puis  s'y fanent aussitôt, sans se laisser saisir, leurs pétales tigrés s'y flétrissent sans résistance, les doigts ne peuvent approcher leur texture poudrée sans qu'elle se déchire, elles s'y délitent outrageusement, l'esprit qui tentait d'en préciser les contours, se voit abandonné par elles, délaissé, sans comprendre quel mouvement de flux et de reflux les prend et l'abandonne, les porte et l'enfonce dans des profondeurs insondées où il demeure, silencieux et blessé.

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