Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 13 novembre 2010

Carnets lointains, XLVII (conjuration)


Les conjurations sont minuscules. 

Elles demeurent possibles cependant. Contre le tic-tac obsédant du réveil (il n'existe plus), il faut trouver des bruits aussi insistants et capables, tels, de prendre leur essor dans la nuit. On convoquerait bien le grattement de la plume sur le papier, mais il y a bien longtemps qu'il n'existe plus, lui non plus. Les mines des crayons glissaient, accrochaient parfois, égratignaient le papier, et ses légères rugosités, crayons mystérieux qu'il suffisait d'humidifier pour que leur pointe grise se transformât en une encre violette, et le geste toujours répété, toujours le même, tremper la plume dans l'encrier, et la feuille de buvard imbibée de tâches rondes, qu'on regardait dans un miroir pour relire ce qu'on avait écrit autrefois, pour retrouver les phrases, à l'inverse, dans le miroir qui soudain rompait le silence et redisait des mots, lisiblement.

Non. Pas ainsi. Ce n'est pas cela. Ils n'existent plus.

Ce ne peut être ainsi. Il faut inventer de nouvelles conjurations au silence de la nuit, conjurations nouvelles dont je ne connais pas la clef, j'hésite à l'intérieur de ce cercle, les conjurations anciennes, elles n'existent plus, ne font que compliquer la tâche et la rendre impossible, incantations qu'on cherche dans le silence aboli et l'espace trop grand de la maison.  Le cliquetis du clavier jouera parfaitement ce rôle et noiera, dans son rythme, le cliquetis du réveil (il n'existe plus) qui autrefois marquait ici le temps, et le rythme des minutes, et tout ce qui était possible de glisser dans l'extension d'une journée (y compris le sommeil). Les touches du clavier rendent audible le rythme des doigts, et la rapidité avec laquelle, sur l'écran, ils déploient dans le silence des mots qui conjurent la nuit, et éloignent les souvenirs (ils n'existent plus).

Les doigts manifestent sur le clavier les pensées, à chacun de leur battement, les plus intimes, selon les variations de leur rythme, et elles s'affichent sous mes yeux, au fur et à mesure que les mouvements s'enchaînent les uns aux autres, dans des liaisons parfaitement connues de la syntaxe, de sorte qu'il est possible que le regard ne suive rien d'autre que la ligne mélodique des mots dont les syllabes montent et descendent selon des fantaisies qui leur sont propres, et qui les dessinent sur la surface inexistante de l'écran (elle n'existe pas).

La ruse réussit presque, et voilà que la possibilité du présent se dessine à la surface du monde.


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