Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 1 novembre 2010

Carnets lointains, XXXIV (les reflets des reflets)


En principe, les reflets des reflets vont à l'infini.

Il arrive de simplement lever de la tête, dans une nuit d'été, et de voir au dessus de soi, dans la nuit étoilée, un gouffre immense et sans limite. La profondeur au dessus de soi ne provoque pas exactement le même vertige que celui qui s'éprouve au-dessus des bords imparfaits et fragiles d'une falaise de calcaire pâle, qui s'effritent dans la mer, sous l'effet du vent et des vagues répétées. Nulle houle ici.  Au dessus de nos têtes, la profondeur de champ est infiniment calme dans laquelle seulement passent des satellites. Il arrive de lever la tête, et de se pencher sans aucune crainte (il est impossible de tomber dans l'immensité) sur le ciel étoilé, toujours le même, mouvement apparent certes, mais toujours le même, identique, au dessus de nous tous, recommencement inchangé des nuits d'été.

Et les bords extrêmes des galaxies se laissent alors deviner dans ces abîmes calmes.

De cet infini, il reste des éclats dans des flaques d'eau troubles, dans les crevasses ouvertes par le gel et les passages répétées dans les strates du bitume épais et lourd. On regarde le sol, simplement pour reprendre souffle, pour se retrouver soi ; les yeux baissés ne peuvent pas s'empêcher de voir, ils constatent, ils identifient, puis finalement accrochent un briquet désossé dont la collerette rouille sur le sol, abandonné là et devenu lentement déchet, à côté d'un tracé irrégulier dont les couleurs font un arc-en-ciel en décomposition par les hasards d'une tâche d'huile. Un peu plus loin, une contravention refusée d'une main rageuse se gonfle d'humidité comme un noyé, et se chantourne dans la destruction  matérielle des instants. Une cigarette finit de se consumer, jetée de la fenêtre ouverte d'une voiture,  incante de son mégot allumée, dans l'obscurité imparfaite, les profondeurs étoilées que nous n'obtiendrons plus.

Les façades étoilées des tours se répètent dans une flaque d'eau, et le pas lourd d'un homme y vient les écraser.

Alors il devient impossible de ne pas voir le désastre, nous n'avons plus à nos pieds que des fragments de nuits brisées ; le voile du crépuscule ne suffit pas à faire disparaître  la tristesse rauque  et coupantes comme une lame de rasoir rouillée. Avant de chercher ses clefs au fond d'une poche, et de pousser la porte d'un appartement, n'importe quel appartement, qui se trouve être par hasard celui dont la serrure correspond à la clef que serre notre main, il vaudrait mieux ne pas regarder ces éclats de vie passée. Il serait plus prudent de simplement ne pas les regarder, on pourrait éviter de ne pas se blesser encore une fois sur les fragments de ce qu'ils ne sont plus. 

Comme on ramasse un peu plus tard dans la solitude, en dépit du liquide poisseux qui s'en est écoulé, les morceaux d'un verre brisé sur le parquet.


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