Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 29 novembre 2010

Manuel anti-onirique, IV



Vibration de l'air. La voix, profitant d'un silence. 

Rien qu'une mince ouverture dans la course du temps. Elle porte à peine. Chuchotement. Suffisamment loin cependant, de celui qui parle, en direction du visage attentif de celle qui la reçoit. Un souffle. Ils sont près l'un de l'autre. Aussi près qu'il est possible de l'être. Leurs lèvres viennent de se détacher et déjà, pour traverser l'espace qui les sépare, la voix vibre, un souffle passe entre ses lèvres à lui, et traverse la distance entre eux, qui, de nouveau, est infinie. Son visage. Qu'elle effleure. Son visage est à une distance infime mais cela ne change rien. Il faut, pour que la voix l'atteigne, qu'elle passe par une infinité de points qui à eux tous, ne parviennent pas à  composer la continuité de l'espace. 

De sorte que la voix reste ainsi, suspendue, dans la solitude.  

La physique étudie les nœuds et les cordes des vibrations. Diderot médite sur l'ordre de la nature, et invente en son sein l'immortalité de la matière, dans des cycles complexes de composition et de recomposition. Comme si la matière pouvait être le dépositaire de nos espoirs. Pour seulement se parler, ils doivent à leur tour résoudre pitoyablement des mystères infinis et des équations d'une telle complexité qu'ils pourraient tout aussi bien abandonner d'emblée. Reconnaître sa défaite paraîtrait une position plus rationnelle. Reconnaître et accepter sa défaite. Sa voix à lui jamais n'atteindra son visage et en dehors du miracle de leurs lèvres embrassées, ils sont l'un et l'autre au fond de leur solitude.

On dirait deux herbes folles.

Dans l'air, ils se redressent. Ils ploient. Puis se redressent. Ils ployaient tant que la courbure de leurs vertèbres signait l'évidence de leur défaite. Soudain, sans qu'il soit possible de dire quel battement des veines dans leurs tempes a provoqué ce frêle mouvement, tels deux herbes folles, ils se sont redressés sous le vent. Une brusque bourrasque. Quelque chose comme un coup de vent sur les dunes. Et les herbes folles, avec une vigueur intacte, se sont redressées. Elles laissent sur le sable le cercle concentrique de leurs hésitations souples. Puis se redressent. Intactes. Pendant que l'écume de la mer vole au loin.

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