Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 25 juin 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 20 (dégringolade)


En dépit des pas, et des passages et des passants, ici, dans ces rues, j'entends par là les rues pavées qui l'une ou l'autre ramènent aux abords de l'université, tout est silencieux. Je marche d'un pas que je ne me connaissais pas. Je ne savais pas de lui qu'il me porterait ainsi. Son rythme me surprend et parfois aussi, dans les couloirs du métro, je le sens qui m'emporte. De toutes manières, les indications ne me disent rien et il faut bien les laisser défiler selon des régularités que je ne saisis pas. Elles me trompent, m'abusent, et au fond je m'en amuse. Jamais il ne me traversera l'esprit que je pourrais vraiment me perdre, ne pas me retrouver, et peut-être errer sans fin dans les dédales de la ville, sans espoir aucun de sortir du labyrinthe. Qu'importe ? De dédales en dérapages, de détours en dégringolades, un autre monde possible ne me déplairait pas, même si la relation d'accessibilité, de l'un  à l'autre, n'était pas symétrique ! Il suffirait de déchirer, déchiqueter, réduire en miettes ce misérable billet d'avion et d'oublier tout le reste. Tournoiement d'un monde à un autre : nous voilà passés, restons-y !

Même l'oubli doit bien se trouver dans les spirales de la ville. Ainsi, elle paraît rectiligne, les avenues tracées d'un trait parfait, et pourtant les perspectives ne s'ouvrent pas. S'il y a de ce phénomène étrange une explication logico-mathématique qu'on puisse calculer, penser, alors ce doit être une aspiration tacite de la mégapole à une enroulement comparable, analysable, synthétisable évidemment, à condition que l'esprit le rapporte à des spirales complexes et protéiformes, qui s'étendent loin dans la nuit.

Ici nulle phrase que j'aie déjà prononcée, nulle réponse qui m'ait déjà été donnée. Il redevient possible de regarder la présence du monde, en dehors des strates de descriptions qui se seraient accumulées sur lui comme une poussière millénaire. Je sais bien qu'ici aussi il y en a. Mais je ne les connais pas. Alors en dehors d'elles, le regard glisse sur le monde dont il ignore les catégorisations rigides et sociales… Une silhouette extravagante et colorée monte dans le métro, je n'ai aucune idée de ce qu'il peut vouloir ainsi dire de lui, les autres passagers ne le regardent pas, et la scène est là, devant moi. Elle se déroule et s'enroule dans les questions entrecroisées. Il me suffit de les regarder. Lui, veste étoilée, cheveux roses, silhouette frêle. Il s'assied. La fatigue pèse sur lui. Il a un air de travailleur. Travaille-t-il ? Je les regarde, je le regarde, je les regarde ne pas le regarder, je le regarde s'assoupir. Les stations défilent. Je ne sais plus où je suis. À tout hasard je descends du métro, sors à l'air libre et continue à regarder, les collégiennes ont disparu du paysage urbain, il est trop tard, des quantités d'échoppes de musique, je ne sais pas du tout où je suis, dont les devantures clignotent, attirent le regard, j'entre, j'écoute tout, n'importe quoi, incapable de deviner ce que je vais entendre, le monde glisse sur moi, tout est fluide, la présence du monde s'offre dans son pur surgissement coloré, odorant, infini et moi je me glisse en elle et tout cela n'a absolument aucune importance.

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