Je sus pourquoi. Soudain, la réponse se leva dans mon esprit, sans même que la question lui fût encore parvenue. C'était absurde, assurément, mais sans qu'il soit possible de dire quelle pouvait bien être la question, la réponse en était devenue parfaitement évidente. Il y avait déjà bien longtemps que j'étais rentrée, j'étais allongée sur un lit, supposément je ne pensais à rien et fumais une cigarette dans l'air du soir. Et la réponse vint, alors que la question encore manquait de certitude et d'allant. Donc je reconstruirai dans un premier temps, précautionneusement, la question, puis, pour que les méandres ne soient pas trop fugacement féroces ni hérissés de pièges que nul ne déjouerait et dans lesquels tous iraient se perdre et s'abimer, et même si cela me laisserait dans un éclat de rire aussi coupant que du verre, je donnerai vaguement quelques esquisses de réponse, dans lesquelles je me moque bien de tout, du reste, et surtout de moi.
Impossible de comprendre, comment aurait-il été possible de ne pas errer en boucle, dans des cercles concentriques de plus en plus étroits, dans des volutes de plus en plus fines (pour rien au monde je n'en calculerais la courbe mathématique et ses équations me lasseraient encore plus que toutes les possibles variations sur les répétitions absurdes de ma vie), comment ne pas se laisser prendre dans les enroulements lascifs et trop serrés de ces invraisemblables plantes que j'ai déjà racontées en d'autres temps, en d'autres lieux ?
Il était impossible de comprendre pourquoi, dès la première minute, j'aurais voulu rester là, immobile, ne plus jamais revenir, ne plus jamais bouger, j'en aurais pleuré, supplié, ne pas prendre le pas, ne pas se retourner, ne pas s'en retourner, était-ce donc impossible, était-ce donc trop demander ? Je ne comprenais pas… pour une fois que je demandais quelque chose, pour une fois que je ne mentais pas, que je ne déguisais rien ! Pour une fois que quelque chose de clair se levait en moi.
Un homme en costume clair, caricature fatiguée de dandy, comme on en croise tant, un peu partout, racontait dans la première page du premier journal que j'attrapais (dans la navette, j'en ai déjà parlé) qu'il était là depuis vingt-cinq ans, ou quelque chose comme ça, qu'il n'était jamais reparti de son premier séjour, que son premier séjour durait depuis vingt-cinq ans, que sa vie désormais était ici… bien sûr le journal était bilingue, sans quoi je n'aurais rien saisi de ce qui entourait sa photographie un peu pâle de cette sorte de dandy qu'on croise un peu partout, surtout dans les stations balnéaires, me semble-t-il, et qui promène avec nonchalance un labrador lui-même nonchalant sur une plage déserte.
Et à l'instant même je mourus de jalousie ! parce qu'ici il n'y avait rien de moi, aucun souvenir ne m'agrippait au détour d'une rue, ne retenait ma silhouette, ne m'arrachait mon ombre pour me demander de pleurer un passé enfui, aucun regret ne prenait le temps de s'en prendre à moi, je passais dans les rues immenses, je croisais les pas de tous ceux qui me regardaient à peine, et m'enfonçais dans le silence et l'oubli. Personne ne me connaissait, je n'avais personne à pleurer, personne à espérer, personne à attendre, aucune main à tendre, aucune main à caresser, je n'avais rien, j'avais la légèreté élégante de l'oubli.
Il n'était pas nécessaire de s'enivrer, ou peut-être pourrait-on penser que l'ivresse profonde et indétectable que donne la fatigue immense, à elle seule, suffisait ?
Je fus donc cinq jours durant absolument ivre de solitude.
cinq jours durant sans indexicalité...
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une lecture délicieuse....
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