Une phrase a traversé le vide de mon esprit.
J'étais dans le bus, je m'en souviens très bien, je regardais défiler les premiers immeubles, nous passions le port, la navette était presque vide et tous semblaient connaître ces abords, personne ne regardait le monde qui défilait, je venais d'entrevoir la mer, c'était bien trop long, le ciel gris déversait une pluie fine et tiède, et cette tiédeur engourdissait mes pensées. Les chaos de la route étaient ce que j'avais senti de plus doux depuis quelques jours, même si cette douceur était absurde. En l'espace de quelques jours, mais déjà je ne savais plus exactement combien de jours avaient pu s'intercaler dans cet espace de temps, j'avais pris un premier train, fait quelques heures cours au sixième étage d'un lieu sans grâce, dans la poussière de craie et les graffiti sur les tables, repris un autre train, qui avait caressé le bleu de la mer et serpenté de tout son long, enchaîné sur une conférence sans même accuser le choc de la nuit qui tombait, couru dans un premier aéroport après deux nuits dans des lits différents, tous également inconnus, un peu trop froids, et j'avoue en outre qu'avant de partir j'avais récupéré des clefs, changé de l'argent, déterminé des tenues en fonction d'un climat inconnu, expédié des possibles, démultiplié des possibles, tenu toutes les cartes en main, retenu des adresses et des noms, et des modifications à insérer, et je venais en outre de défier deux grèves, des retards d'avions, des couloirs invraisemblables et immenses, un hall démesuré, j'avais traversé tout un aéroport, tendue par la seule force de ma volonté pour défier les lois des retards et des horaires, passer la barrière absurde la douane, pour coûte que coûte venir ici … emballement des tâches, des attentes, des tensions, des gestes, des enchaînements de pas, de déplacements selon les lignes géométriques que tracent les trains sur le sol, les avions dans le ciel …
et j'étais arrivée à destination, ma volonté pouvait un instant détendre tous ses efforts, mettre un terme à cette tension, et voilà que cette phrase absurde me venait à l'esprit. Elle traversait le silence de cette matinée. Je n'y accordais pas entièrement foi, je ne pouvais pas lui prêter entièrement attention. Il y avait à cela quelque chose de dérisoire. La nuit sans sommeil, et le vol immense au-dessus des espaces vides pouvaient peut-être suffire à expliquer sa formation dans les strates de mon esprit, elle avait dû s'échapper par erreur, elle aurait dû ne rester qu'un rêve. À la sortie de l'aéroport, elle avait failli advenir à ma conscience, mais j'avais été plus précise, plus réactive, et j'avais réussi à l'écarter d'un revers de la conscience … je venais de perdre la partie et l'entendit très clairement …
… j'aimerais tant ne jamais repartir …
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