Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 2 juin 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 20 (oblique égocentrique)

Il n'y a plus d'heure dans cette nuit, toutes les incisions brèves du temps sont abolies par l'extension démesurée d'un nocturne pluvieux, extension telle qu'en dépit de l'heure tardive, je ne sais plus du tout quelle heure il peut bien être, la foule continue de monter comme une vague transparente sous les déferlements des lumières hystériques auxquelles elle semble devenue indifférente. Elle s'abrite sous de grands parapluies transparents qui pourraient n'être presque rien et qui renvoient les reflets des lumières mais rien ne dit s'ils l'abritent plus de la pluie ou des retombées des lumières qui roulent sur elle. Le vent se lève… un souffle la soulève…

Elle s'avance comme une marée calme et, cela me surprend, elle ne marque aucun signe quand il lui faut s'immobiliser pour laisser passer les flots des voitures, aucun ressac, aucune agitation.

À chaque carrefour, elle s'arrête un moment, indifférente à la pluie, les forces se stabilisent, s'immobilisent, jusqu'au point parfait de l'attente, puis lentement, d'un commun accord, qui, tout le temps que durera mon attente, restera parfaitement tacite, jusqu'à ce que la vague ainsi formée reprenne son avancée. Parfois, une silhouette se détache, prend une rue transversale, part en oblique … et disparaît dans un nocturne tokyoïte dont pour ma part je ne connais rien.

Je me contente un moment de ne pas bouger, de rester derrière une vitre, pour regarder l'alternance se faire — immobilisation, immobilité, et de nouveau mouvement puis mouvement arrêté, suspendu dans l'attente, un bref instant, et les choses qui reprennent leur cours, et les individualités qui se détachent sur la toile de fond du monde et prennent la tangente.

Les silhouettes se détachent de la masse transparente. Elles redeviennent alors finement fragiles, un trait de plume dans la nuit, une petite griffure temporelle et spatiale, rien de plus, une oscillation dans le monde. Souvent elles tiennent à la main en sac en plastique que la pluie constelle.

Une question m'enserre la gorge. Je ne sais pas pourquoi, elle apparaît sur le fond des pensées, elle gonfle,se hisse tout en haut, au bord de mes lèvres, et il faut lui accorder sa place dans ce nocturne égocentrique, il n'est plus possible de faire autrement, il n'est pas possible de la repousser, elle ne se laisse pas réduire à néant cette fois.

Nocturne égocentrique. Quelqu'un, dans cette ville, se souviendra-t-il de moi ? Sans quoi, il se pourrait que je sois passée là comme un rêve, comme un fantôme… le plus probable est que personne ne se souvienne de moi. Et qu'en ombre je sois venue. Cela n'a pas plus d'importance que si je n'étais pas venue. Il se pourrait au fond que je ne sois pas venue.

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