Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 5 avril 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 17 (au loin)

Au cours des heures multipliées de ces journées condensées sous l'effet de la distance, de l'éloignement, du manque de repos, des nuits vides de tout sommeil, et plus encore par l'impossibilité de comprendre ce qui se disait autour de moi, de saisir les significations dans l'espace qui m'entourait, de les partager, de les renvoyer, il y eut place pour toute saveur, pour toutes les notes tenues de l'existence, même pour la nostalgie, et l'âpreté de l'exil — en si peu de temps.

La conscience aiguisée a joué toutes les partitions, dans lesquelles elle a perçu l'articulation du hasard et du possible.

Je m'étonnais de les y rencontrer, presque brutalement, au détour d'une petite rue, dans le quartier de l'Université, sous une pluie battante. Le chemin qui pouvait en une station de métro me ramener à l'hôtel, et qui prenait alors quelques minutes, pour des raisons impénétrables, demandait parfois des changements complexes, des passages obstinés dans une seule et même gare, et des remords, des repentirs, des oscillations épuisantes, de sorte qu'il me paraissait ce jour-là impossible de m'y aventurer — tant ses caprices étaient imprévisibles et rendait improbable le calcul du temps qu'il me faudrait pour revenir, ensuite. J'attendais que mon sort se décidât, dans un périmètre point trop éloigné.

Sous cette même pluie, une cohorte calme courait un marathon, et éloignait la circulation. Je les vis passer de loin. Le silence régnait autour d'eux, et ils le déplaçaient dans la ville.

L'attente d'une heure précise dévorait les autres ; jetée là comme un poudre, elle exerçait un intense pouvoir de corrosion.

Il pleuvait à verse — impitoyablement. Des sirènes passaient, et relayaient des messages diffusés par des voitures de police équipées de hauts-parleurs puissants. Je compris au soir venu, quand à peu près toute menace se fut éloignée, qu'il était question d'une vague géante, qu'elle pourrait pénétrer la ville, et emporter sur son passage ce qu'elle jugerait bon de prendre et de rendre à la mer.

Ce jour-là, précisément, je me sentais sans assise, sans certitude. Le monde oscillait et je ne savais où retrouver mon calme évanoui dans une incertitude fébrile. Enfermement, éloignement, ces deux figures spatiales et opposées tissaient une toile finement obsédante.

J'entrais alors dans un restaurant tibétain, renonçais à tout effort, demandais un thé, qu'on m'apporta fort et brûlant, plein d'aromates, de lait chaud et de sucre. Je gardais la tasse bon marché entre les mains, réchauffant mes doigts contre elle.

À elle, il revenait de me consoler de ma vie d'adulte.

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