Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 22 avril 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 18 (sidération)''

Immobilité. Suspendue à un lieu de l’espace que je ne sais pas situer du doigt sur une carte.

Pour le retrouver, j’ai fait quatorze heures d’avion, traversé en courant un aéroport démesuré, passé la douane en retenant mon souffle, les bras chargés de toutes mes affaires pesantes, que je ne savais retenir, les paquets glissaient de mes doigts crispés, mon manteau se déchiquetait dans la course, les sacs pesaient sur mes épaules, mes articulations n’étaient pas loin de craquer, je me sentais me disloquer et seule la volonté l’emportait, m’emportait dans la course, et pourtant elle n’en pouvait mais… je me sentais si près du point de la dislocation. Dislocation calme. Je n’aurais pas pleurer. Pour rien au monde, je n’aurais pleuré.

Peut-être ce point n’appartient-il pas à ce monde. Ce qui expliquerait qu’il ne se situe pas sur le plan. Il se rouvre dans les sidérations calmes.

Réussir. Attraper cet avion, avant son envol pour un ailleurs. Avant que l’envol ne devienne impossible à jamais. Qu’il ne se passe dans un autre monde. Il me fallait quitter ce monde. Ce qui en dépendait, je le sentais, était bien au-delà de l’interprétation publique que tous ces regards braqués sur moi attendraient de moi, enfonçant un à un les coups de couteau qu’il ne faudrait même pas remarquer, resserrement de l’espace sur un point que j’affronterais coûte que coûte, eux suspendus un instant à la première phrase que je prononcerais dans le silence artificiel et fragile comme du verre « From a modal point of view… », moi affrontant.

Syncope. Ce point contre un autre. Ils doivent être tout à côté l’un de l’autre.

Mais je courais. Je courais après cet avion, sans savoir pourquoi, contre les grèves, les retards, les douaniers, les incertitudes, les horaires décalés… qu’importait que ma volonté fût sur le point de voler en éclats ? Tant qu’il me restait un souffle pour courir, je visais la porte 39. Elle n’aurait pas été la seule à éclater comme du cristal dans une emprise trop puissante pour elle. Alors il n’importait pas.

Et en effet, ces deux points, juste à côté l’un de l’autre. Sidération, de la douleur et de l’apaisement ; donc l’un et l’autre également possibles.

Après le silence coupant comme un tesson de bouteille caché dans le sable caressant, un jour d’été, sous mon pied nu (je me souviens du sang qui coulait sans discontinuer dans la serviette de bain, de ma sidération de n’avoir pas mal devant la plaie ouverte, du froid qui pourtant m’avait saisie), il y eut en réponse ce point hypnotique du monde.

À ce point du monde, personne ne remarquait ma présence. Ils jouaient des billes d’acier. Sans discontinuer. Elles retombaient en pluies. Sanglotantes.

Mes pensées assourdies par le vacarme cessèrent un moment de tourbillonner dans mon cerveau. Le sang dans mes tempes n’était plus douloureux. Je n’existais pas, à ce point de l’espace. Apaisement. J’avais cessé d’exister. Les impressions passaient sur moi. Glissaient. Aucune ne s’aggrippait à moi. Ma main pouvait abandonner la crispation constante.

Qui m’entraînera hors de cette pièce ? Qui saisira ma main abandonnée ? pour m’emmener hors de ce lieu assourdissant, aveuglant ? Qui ?

Il est temps de revenir au monde.

1 commentaire:

  1. C'est très beau ! contente d'être revenue par ici... Je m'aperçois que tes mots m'avaient manqué. J'aime ta sensibilité.

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