Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 13 avril 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 18 (silhouette)

Sa silhouette haute et déliée traçait sur le monde des séries de lignes noires, parfaites ou brisées, qu'à d'autres moments, dans d'autres circonstances, au gré du jeu social — il le déjouait à la perfection, avec une maîtrise surprenante — il rendait souples et dansantes. Je ne l'ai jamais vu que vêtu de noir, de pied en cap et il semblait à chaque instant s'envelopper d'un fragment de vent sous le souffle immobile duquel son manteau flottait, ouvrant largement les pans noirs qui l'entouraient dans son déplacement et ses mouvements.

Au bout de quelques heures passées en sa présence, durant lesquelles, dans les moments où il parlait, se déplaçait, et même (c'était le plus étrange, et de cela je n'aurais pas la moindre explication) quand il gardait un obsédant silence, opaque et contrarié qui le tenait dans une immobilité parfaite, au bout d'un certain temps, ses gestes étaient parvenus à tracer autour de lui une frontière tacite et infranchissable, derrière laquelle il se tenait avec obstination.

Sa voix m'a toujours semblé venir de loin, d'un espace de réclusion, qu'il lui fallait traverser pour me parler ici et maintenant, du plus loin de tous ses souvenirs. Peu importait alors qu'elle fût douce ou cinglante. Elle avait traversé tant d'espaces pour advenir ici, dans la confusion des ces conversations.

Il était impossible, j'y ai bien réfléchi, et je suis sur ce point parvenue à la certitude ultime, que ses gestes fussent, sur le déroulement du monde, autre chose que le déploiement immense d'une phrase infinie pour l'instant, dont il traçait les idéogrammes, chose qui lui demandait une concentration sans faille (elle suffisait à l'absorber tout entier). De cela, il portait au front une marque étrange, qu'on aurait dit une patte d'oiseau, pour autant qu'il tournait la tête et qu'il devenait possible de la percevoir sans avoir à croiser son regard alors incrédule et moqueur. Alors on saisissait à la dérobée ce signe aérien et cruel qui jamais ne le quittait. Chacun de ses déplacements à la surface de ce monde ne pouvait avoir de sens que sous cette condition. Les idéogrammes de ses mouvements et de ses gestes, et des actions à eux articulées, dans l'intentionnalité pure, s'inscrivaient en noir sur le décor bigarré d'un monde dépourvu de toute unité.

Certainement pour tout autre que lui, il aurait été douloureusement difficile de tracer dans l'espace tri-dimensionnel (au moins) le texte indéchiffrable et connu de lui seul (le connaissait-il seulement ?) qu'il avait pour destin d'inscrire pour les seuls yeux d'un Dieu, quel qu'il fût. Cette hypothèse pourrait à elle seule, aussi improbable qu'elle vous paraisse en ce moment, suffire à rendre clairs et les ruptures de style et les caractères nets de ses mouvements, déterminés avec une précision aigüe, ainsi que l'encre noire qui ne cessait jamais de souligner d'un trait sa présence immobile.

Ponctuation. Il riait parfois, souvent, mais d'un rire toujours dépourvu de la moindre nuance de gaieté.

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