Au bord du flot, debout sur un trottoir vide de l'avenue immense, je tente à tout hasard, en direction de la circulation, le geste parisien de héler un taxi. Aucune certitude de la réussite de mon geste, de sa possibilité, de sa signification même … aucune assurance qu'il ne retombe pas dans le silence sans écho… mais mon étrangeté à la vie est si évidente que le policier qui me regarde faire ne cille pas … peut-être ai-je glissé le long des règles du jeu, de moi il n'attend pas que je les connaisse avec précision. Et par hasard un taxi s'arrête… et l'espace s'ouvre pour l'heure et demie de liberté que je viens d'arracher aux possibles avec toute la férocité du désespéré.
Maintenant que je suis rentrée, que j'écris ces lignes à Paris, ou ailleurs, il me surprend d'avoir douté de ce geste et de sa clarté. Pourtant sur le moment, je n'avais aucune certitude de sa transposition possible. Qu'il soit ici signifiant, ne saurait garantir que, dans un autre lieu, il fût pourvu de la moindre signification. Les variations des mondes possibles se rient de nous et de nos attentes, les déjouent, les défont et tissent des univers dans lequel le plus improbable advient. Il faut croire que je n'étais pas si loin.
Ouverture. L'échappée vers un parc. Le but est absolu. Pour une heure et demie, je veux ne rien entendre, ne rien dire (les vêtements empesés saisissent les courbes de mon corps, et redressent mes postures et ma nuque, mais il doit être possible de déjouer leur ascendance). Je ne veux pas autre chose que sentir l'odeur inconnue de cette terre, laisser la pluie ruisseler sur ma joue, elle effacera toutes les traces des larmes d'un autre monde, puis je poserai ma main contre l'écorce rugueuse d'un arbre dont j'ignore le nom — après quoi il redeviendra possible de revenir sur mes pas, en rapportant pour son destinataire un minuscule morceau d'écorce.
Le chauffeur hésite… sans que je sache s'il a mal compris ma demande … regarde un plan, se retourne, renonce à me parler… se retourne à nouveau. Reprend la parole au bord de laquelle il était resté. Il m'explique que le marathon se court aujourd'hui, qu'il nous empêchera de passer. Le parc rêvé s'éloigne à une vitesse invraisemblable, déjoue toutes les ruses, dégringole le long des accessibilités possibles… Nous nous arrêtons sous la pluie. De loin, des silhouettes presque abstraites sont soulignées par le plastique qui les entoure. Elles déplacent avec elles, à travers les rues qu'elles enlèvent à la circulation, un lieu silencieux qui se déplace autour d'elles dans l'espace urbain.
Nous restons là, quelques instants. La buée envahit les vitres. Et le monde entier s'estompe sous mes yeux.
jeudi 8 avril 2010
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en ce temps de marathon où tout courait,
RépondreSupprimeren ce temps de course en taxi,
en ce temps-là tu l'as défié et estompé,
sous nos yeux, en une pause improbable mais ô combien tangible