Les sirènes nous prévenaient de la possibilité de la tempête qui planait au-dessus de nous, au loin, dans un horizon sombre.
Leur stridence traversa l'espace, et on aurait dit qu'un instant, aussi bref soit-il, nous étions tous figés dans une immobilité involontaire à laquelle nous ne pouvions rien ; elle nous saisit, nous traversa et nous figea. Un bref instant de surprise, se trahissait notre attente abyssale. Nous étions soudain effarés, en suspens dans le monde, aussi peu que cela fût, il ne fut possible à aucun d'entre nous de le cacher ; le calme enchaînement mécanique des gestes un instant n'avait plus été possible, en dépit de toute l'usure que le jeu social avait su imposer à nos manifestations devenues si peu spontanées — la main s'arrêta entre la tasse et le geste qui allait la porter aux lèvres, de sorte qu'il marqua un temps de retard et que cela ne fut pas absolument indétectable … la phrase qu'il allait terminer suivit une ligne mélodique qui accidentellement monta un peu trop haut pendant qu'il détaillait avec détachement les besoins en ontologie formelle de l'armée américaine… pour se remettre ensuite dans le ton que les conventions validaient. Mais la musicalité instinctive perçut la peur. Et le détachement se brisa au sol, non sans provoquer chez lui une très légère contrariété, aisément étouffée. Comme la tasse aurait pu elle aussi y éclater en morceaux.
Pourtant l'incertitude est un leurre. Et tous le savent ; quand ils allument une cigarette, pourquoi surjouent-ils le détachement ? Elle se rit de l'avenir dans des possibles mouvants qui retomberont comme pluie sur le sol. Ou bien la tempête s'abattra sur nous ou bien elle ne s'abattra pas, et une fois que sa fureur se sera déversée sur nous, ou bien une fois qu'elle nous aura épargnés, alors l'incertitude se diluera dans la nécessité fixe et intangible des choses du passé. Les purs possibles resteront hors de notre portée. Pourquoi donc ont-ils tous tremblé ? avant de reprendre le flux mondain de leurs activités.
Que des sirènes nous préviennent me paraissait présage ironique. Les façades immenses des immeubles illuminés qui hier encore se reflétaient dans les pupilles de mes yeux, comme dans toutes les pupilles noires de cette nuit intérieure, allaient-elles se couler dans le reflet d'elles que renvoyaient les flaques, glisser au sol sans bruit; s'écouler hors de ce monde délavé ? La pluie immense nous laverait-elle "des tâches de vin bleu et des vomissures" ? Était-ce cela qui les frappa de terreur ?
La pluie ruissellerait sur nous, diluerait les contours des mondes, confondrait les contours … la pluie immense et tiède qui effacerait toutes les larmes comme après un dernier sanglot calme …
Après quoi, notre regard serait redevenu transparent.
dimanche 11 avril 2010
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