Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 2 mars 2011

L'∞, 45

Effritement. Le monde s'use. Par la surface. Les strates les moins tenables de pierre friable ne supportent plus les heurts ni les chocs continuels. Nous n'en finissons pas, nous n'en finirons donc jamais de descendre de ces Enfers, de redescendre de ces limbes, de fuir et ce confinement, et ce monde étouffé, et cet étouffement, nous n'en finirons jamais, nul espoir ne nous portera jamais plus, et il ne restera rien d'autre à faire, une fois parvenus en bas, si nous y parvenons, de regarder la lente consomption d'une cigarette mal éteinte, sur le sol humide de la nuit, avant que la lourdeur des pas ne finisse de l'écraser.

Ce qui est compliqué, assurément, est de déterminer quel mécanisme produira sur nous l'usure la plus intense.

Il faut imaginer Walker Evans, dans l'Amérique transpercée de douleurs de la grande dépression, penché vers le sol, courbé sans doute, et percevant les plus infimes détails d'un monde qui bascule, regardant dans l'asphalte et le bitume que la chaleur intense de l'été rendaient luisants presque, et presque visqueux, les traces possibles d'un passage, et des brins défaits de nos activités, et réalisant l'un de ses plus incroyables clichés d'un instant silencieux que l'accablement a gagné. Ainsi penché vers le sol, le regard perdu dans les traces des pas inutiles et désœuvrés, à reculons devant ce monde plein de rebuffades, lui, comme tous les autres, recevait de plein fouet, par ces traces dans la poussière fugace, une impression que lui seul transmettrait d'un geste sûr et qui encore, par delà les jours immenses, parvient jusque sur notre rétine.

Parcelles arrachées à notre passage sur le monde, qui tout autant qu'il se délite et s'effrite sous les quatre vingt seize heurts que chacun de nos passages lui imposera, en retour, nous impose une destruction insidieuse et tenace. Nos pas se marquent, certes, dans le sol meuble d'après la pluie, qui ne soutient qu'imparfaitement notre marche, mais la trace de notre présence n'y sera conservée que le temps nécessaire pour amener une nouvelle averse, plus impitoyable encore que la précédente. Nous nous courbons un peu sous la pluie, par un réflexe mauvais que je ne m'explique pas. Contre les ronces qui envahissent peu à peu le chemin, un peu de notre manteau s'arrache, se défait, et le brin minuscule de matière qui nous est enlevé ira trouver sa place sur l'asphalte luisant d'un cliché désespéré de Walker Evans.

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