Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 14 mars 2011

L'∞, 60

Ne t'envole pas, Icare. Ton envol ne sera qu'un saut terriblement fini. On dirait que tu le sais pas, que nos âmes sont lourdes, lourdes comme des sacs de pierres. On dirait que tu n'en as pas conscience. Pourtant, tu as l'âge d'homme. Tu as un fils. Puisque tu as un fils, Icare, tu devrais le savoir, que nos âmes sont lourdes, qu'elles sont si lourdes que nul envol ne nous est permis, qu'il ne nous est permis que de couler à pic dans les flots de la mer ulysséenne.

Maintenant que le temps où je les ai apprises s'éloigne de moi à une vitesse dont je ne maîtrise même pas l'imagination, et qu'il plonge dans le passé, qu'il s'abîme, il me semble que je commence à comprendre tes croyances. Les unes après les autres, elles se dépouillent lentement de leur pittoresque, elles prennent forme dans mon esprit, lentement certes, ∞ment lentement, on peut supposer que ce mouvement n'en finira jamais, qu'elles seront toujours en train de prendre forme, et il est très probable, de ce fait même, que les incidences qu'elles auront sur mes propres croyances ne cesseront plus, qu'il me faudra sans cesse les reformer, les reprendre, les rajuster les unes autres. Je n'en finirai plus d'adapter à elles la navigation de mon âme.

Mais il me semble que c'est au moment précis où je commence à comprendre ton monde que tu disparais dans l'abîme.

Il y une onde qui s'est formée, quand tu as touché l'eau ; tu as touché la surface de l'eau azuréenne, et, je ne sais pourquoi, l'onde que tu as provoquée en retour n'en finit plus de fluctuer dans mon esprit. Tu ne savais donc pas que nos âmes sont si lourdes qu'elles courbent nos échines et alanguissent nos gestes ? Comment as-tu pu croire, comment ?, et ne serait-ce que le temps que dure l'éclair le plus vif du rêve le plus fugace, comment as-tu pu croire que tu pourrais, en te jetant d'une falaise, donner à tes vues de l'esprit cette impulsion absolue, ce coup de talon magistral qui te garderait de toutes les noyades en mer ?

La noyade est toujours possible.

Regarde Ulysse. Il ne t'est plus possible. Son bateau déjà disparaît à l'horizon. Et déjà, sa possibilité t'en est ôtée. Plus jamais, toi qui as voulu le battre à la course, tu ne pourras te mesurer à lui. Tu disparais et il passe. Il passe et tu disparais. Il le sait, avec une intense certitude, même quand il ferme les yeux, la certitude ne le quitte pas, ne cesse pas un instant de palpiter dans ses tempes, que nos âmes sont lourdes et qu'elles nous enjoignent de complexes détours, et de terribles anticipations des coups du sort. Mais surtout de complexes détours. Il va et joue bien plus finement que toi.

∞ment plus finement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire