Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 26 mars 2011

L'∞, 82

— Et les philtres et les magies et les ensorcèlements, et les empoisonnements, tout cela, que ce monde aujourd'hui s'emploie à oublier, tout ce qu'il est possible d'imaginer en lisant ton histoire, de la puissance de la magie, … et elle, … la magicienne … tu n'en diras rien non plus …
— Non plus.
— Ce n'était pas une question.

De toutes façons, tu n'as pas la recette. Et même si tu l'avais, et même si tu me la donnais, à supposer tout cela, que tu l'aies, que tu ne l'aies pas oubliée, que tu me la donnes, à faire une à une, patiemment, toutes ces suppositions, que je n'ai aucune raison de faire, mais admettons, je ne suis pas sûre que je m'en servirais, de ce philtre. Pour quoi faire ? Tu ne l'as pas, de touts façons, ce descriptif, étape par étape, de tout ce qui ne se trouve plus, de tout ce qui as disparu de la surface de ce monde, je n'y crois pas une seconde, et cela poserait des problèmes de traduction invraisemblables, à n'en plus finir, pour rien, pour rien qu'une tisane à laquelle je ne croirais même pas. Je découvre qu'il est possible de se sentir seule, même en compagnie de la possibilité d'Ulysse. Même la compagnie de la possibilité d'Ulysse n'empêche pas de se sentir seule. Quelque boisson, une infusion de plantes, on y mettrait de cette plante qu'on compare toujours à une goutte de sang, dans toutes les langues, j'ai oublié son nom, Narcisse, Vénus, Jésus, ils sont tous là, sanguinolents, dans toutes les langues, sur un brin d'herbe, ça fait une fleur, avec tu fais une tisane et si tu la laisses macérer à la lumière de la lune, ça fait de la magie ? Je n'y crois pas. Pas une seconde.

— Elle ne devait pas être très heureuse, Circé.
— Non.
— Ce n'était pas une question.

De toutes façons, nous, on a déjà tout ce qu'il nous faut, on a la médecine et le désespoir. C'est une double alternative à la magie, je ne te pose pas de questions. Parce que ça ne m'intéresse pas. On a le désespoir, le béton gris, les autoroutes qui s'effondrent, les centrales nucléaires, et on a tout ce qu'il nous faut, on a toutes sortes de petites gélules sous emballage aluminium avec date de péremption. Alors, la magie, les philtres, les sortilèges, on s'en passe. Il y a certainement des contre-indications entre les antidépresseurs et les philtres de ta Circé. Je ne prends ni l'un ni l'autre. Accoutumance à la lucidité. C'est amer. Mais au moins je ne te pose pas de questions auxquelles tu n'as pas envie de répondre. Et depuis que nous nous sommes croisés, dans un rayon de soleil, sur le vieux port, je trouve que nous nous entendons plutôt bien.

— Je ne te posais pas de question.
— Je ne te répondais pas.
— Moi, ça ne me gêne pas que tu sois silencieux.
— Tu peux poser toutes les questions que tu veux. Je répondrai si je veux.

Comme ça, au moins, les règles sont clairement énoncées.

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