Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 19 mars 2011

L'∞, 68

Décidément ce monde est vide. Il s'y promène des négations, des refus, des impossibilités, mais à part cela, le monde est vide. Je vois bien qu'il n'y a pas de dieux, que rien n'arrive jamais que par un hasard aveugle, et en face du soleil, assise sur la pierre épuisés du rebord du port, je ne vois que cela. Je vois bien qu'il n'y a pas de Dieu.

Le bruit du monde clapote ; on dirait une vague dans le port.

Ce sont tes dieux, Ulysse, qui sont partis les premiers. Ils ont compris très vite qu'ils n'étaient pas à la hauteur du problème. Et puis à peu, tous les autres ont suivi. Ce monde est devenu un désert extraordinaire. Toute la magie en est partie, nous a laissés aux pures lois de la physique et de la matière. Il y a bien parfois des foules qui les cherchent, qui ne se remettent pas de leur départ. Alors elles deviennent pathétiques et dangereuses. En général je les évite. Faute de leur dose minimale et hallucinogène de divin chaque semaine, elles hurlent en même temps dans des lieux de démesure, et il plane une odeur insoutenable et amère de bière.

Je me souviens qu'une fois, avant une de leurs cérémonies dénuées de sens, une telle foule s'était déversée ici, ici même où je suis assise, plein soleil, plein vent, à regarder cet homme qui approche du bord en ramant, puis finalement s'en éloigne. Et recommence, depuis que je suis là. Continuera peut-être, d'ailleurs, après que je serai partie. Il est possible que son seul espoir soit de trouver un peu d'∞ avant de retourner dans le cours de la finitude. Et que se déversant ici, elle déversait une odeur de bière.

J'avais du mal à en faire abstraction (une telle odeur de bière, de houblon, je sais la reconnaître, évidemment) et il fallait en faire abstraction pour tenter de retrouver, derrière elle, au-delà d'elle et de son désespoir, celle de la mer. Je faisais tout mon possible pour les nier, simplement les nier, eux tous, bloquer les réactions de mes sens, ne pas les voir, ne pas les entendre, tenter de ne pas sentir (pas simplement penser, tu comprends ?, sentir) qu'ils étaient là, qu'on avait superposé une scène d'un autre lieu, enveloppé de brume et de désespoir post-industriel, et retrouver l'odeur de la mer ulysséenne.

Parce que, moi, je suis mieux seule, en compagnie de la possibilité d'Ulysse. Les autres, j'en ai un peu assez.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire