Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

lundi 21 mars 2011

L'∞, 72

Voilà. Nous sommes aux bords du monde. Aux bords de la mer. C'est tout un. Avant/après, ici/ailleurs, il faut franchir le pas. Passer la ligne étroite qui nous en sépare. Avancer. Encore d'un pas. Et ce sera bon. On est juste aux bords. Il faut osciller, hésiter, et puis passer.

Le texte s'est écoulé, suivant sa pente, jusqu'à ce point où, avant/après, ici/ailleurs, où il arrive au bord de la mer, où il n'est plus possible de reculer. Assis aux bords du monde. Il n'y a plus qu'à avancer. Pour s'aventurer dans l'∞.

Il paraît, sais-tu ?, que même les fleurs saignent. Tu vas penser que ça n'a pas de rapport. J'ai lu ça dans un vieux livre qui me parlait de la langue, et qui a nourri mes rêveries, de ses formes anciennes, complètement inutiles, de ses variations invraisemblables, pour un même objet du monde, il y a tant de désignations possibles, c'est à avoir le vertige, à avoir le tournis. Je me demandais en le lisant si l'∞ du monde n'était pas là, dans la façon que nous avons d'en parler. Un objet minuscule, auquel jamais je n'aurais prêté la moindre attention, redevenait aussi immense que dans les yeux d'un enfant, la coquille que je viens de jeter, sans y penser, et alors j'ai trouvé là une respiration.

Je sais, c'est absurde, les fleurs ne saignent pas. Si on s'en tient strictement au monde tel qu'il est, les fleurs ne saignent. Mais soudain, j'en suis moins sûre. Ils ont tous l'air d'accord à propos de la fleur d'Adonis, et ils sont d'accord, à travers les temps, à travers les pays, tu peux faire varier comme tu veux, et l'ici et le maintenant. Il y a, je t'assure, j'ai bien étudié la question, des collections de noms, des myriades, des théories de noms qui parlent de son sang, de la goutte qui perle, de la blessure du jeune dieu. Sang de Jésus, sang de Vénus, on ne sait pas très bien qui a saigné, mais la certitude paraît établie. Cette fleur est une goutte de sang sur la surface du monde. Toutes les variations à son propos insistent et redisent, et se renvoient l'idée de cette goutte de sang perlée sur le monde.

Je me souviens, ce livre est tombé entre mes mains par hasard, un jour où je ne parvenais pas à lire. Je l'ai ouvert, croyant déjà en lui. Des dieux différents passaient entre ses pages, on transcendaient des mondes, des époques, par la seule force des vocables. Des mots que je n'aurais jamais utilisés, dont j'ignorais même l'existence. Il suivait les métaphores dans les désignations du monde, et les espaces et les possibles. Ici/ailleurs, avant/après, quelque chose devenu possible dans le langage rend les mouvements fluides et les pensées immenses.

Alors maintenant, on peut y aller.

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