… ou le voyage comme abstraction … une (mauvaise) définition glânée pourtant dans la Stanford Encyclopedia of Philosophy… me souffle que l’objet abstrait est un objet concret dont on a enlevé certains traits inessentiels…
dans l’escalier mécanique, un mégot a roulé — dans l’air déjà étouffé du matin, du métro, je n’ai pas senti l’odeur du tabac, aucune trace d’un possible goût de fumée qui aurait pu me parvenir. Mais il est tombé entraînant dans sa course une myriade d’étoiles rougeoyantes sur l’acier strié des marches ;
or cela (très exactement) se joue dans le temps suspendu du voyage — lui (qui jeta sa cigarette allumée), le voilà maintenant qui court le long du train sur le quai, dans la lumière du matin ; chacun de ses pas précipités devrait produire un bruit sourd et du choc sourd de son pas sur le sol, il ne me parvient pas même un écho, pas même étouffé. Aucun martèlement, aucune scansion : il est impossible d’en rien percevoir. Il remonte dans une course effrenée, sans faire aucun bruit, le quai presque désert…
Pourtant cette définition est fausse. Pour des raisons qu’ici je ne dis pas (les lieux du langage possible se sont précisés).
Elle devient (très exactement) possible dans l’abstraction du voyage — à la lisière de la forêt, manquera l’odeur des sous-bois en automne, de la terre imprégnée d’eau, des feuilles recouvertes les unes des autres, il manquera les bruissements des branches, les pas qui s’enfoncent un peu dans la boue, les chaussures ne sont pas même devenues pesantes de la flaque imprudemment (non)traversée — et pourtant nous frôlons la lisière d’un bois en automne, et ne nous est pas même donnée la possibilité de… C’est à n’y rien comprendre.
Nous voici dépouillés de nos sens — il ne nous reste que la vision — qui à présent nous délivre des messages qui ne s’accordent plus à rien. Ni avec l’odeur de la pluie, ni avec l’eau ruisselante sur nos joues. Nous, abstraits, traversons un paysage abstrait. Ce soir, nous le traverserons en sens inverse, il n’y aura plus rien à voir (seulement des éclaboussures insignifiantes de lumières dans la nuit noire).