Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 1 mai 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 19 (cellophane)

Une très légère crispation des rêves.

Le cellophane se froisse sous les doigts. On entend distinctement le léger craquement des liaisons atomiques qui se brisent, ou au moins se déforment, se distendent. La pulpe des doigts le replie. Sans y penser, sans même y penser, elle le roule en boule. Froissement. Cela occupe un instant l’esprit. Le corps transparent prend presque une coloration verte, comme s’il apparaissait soudain à travers l’eau des songes, dont la mer en nous ne se retire jamais.

J’ai vu très distinctement ce matin même un crabe minuscule se retirer sous un rocher avec une incroyable vivacité.

Il faut croire que le mouvement de la marée s’est interrompu. Les songes se refusent à monter. Les vagues se sont retirées. Le rivage de la nuit est désert. On nous parle depuis des jours d’une tempête immense. Les sirènes tournent. Autour de moi, elles donnent l’alerte et dans le vent du soir, les consignes se multiplient, que je ne comprends pas. J’ignore où les vagues s’en sont allées. Elles ne viennent pas. Je reste au seuil du sommeil. Aucune vague ne m’y emporte. Nulle écume se dépose sur le rivage.

Ou peut-être s’est-il enfoncé dans le sable mordoré de la mer. Je ne suis plus sûre de rien.

Me voilà bien incapable à présent de passer la barrière horizontale des vagues, et pourtant elles n’arrivent qu’à la hauteur de mes chevilles. J’ai à peine relevé le bas de ma jupe. Les songes ainsi absents sont encore plus puissants. Ils traversent tout le jour mon esprit dans le plus grand silence. Le cellophane se dépose sur mes pensées en une fine couche transparente. Brillance artificielle, et qui n’est pas la leur. Je ne les y reconnais plus. La teinte est impossible à détecter mais je sais que, sous mes doigts, il vient de changer de couleur.

Il faut bien alors reconnaître l’extension tentaculaire de la ville. À présent, je saisis ce mot. Elle se déploie au delà de ce que je peux embrasser. Je ne compte plus les hasards qui m’ont menée à elle. Il faut croire qu’elle est venue me prendre. À présent elle m’absorbe. Une fine couche de buée dans mon souvenir recouvre alors la fenêtre de ma chambre, tout comme elle s’étend sur l’unique miroir, trop petit, qui ne me permet pas de me voir entièrement. Le monde s’opacifie un peu. La fenêtre ne s’ouvrira pas. J’ai beau chercher un impossible mécanisme, rien ne permet de l’entrebailler pour faire entrer l’air de la nuit. Ma main ne saisit de rien. Le vent serait du reste vent marin, chargé d’humidité…

La ville s’estompe et dans un même mouvement de bascule vers un monde inconu, sous mes propres yeux, je m’efface à moi-même.

1 commentaire:

  1. Et dire que c'est cette simple pellicule qui te protège. A trop vouloir y voir, on ne voit plus rien, moi, j'ai renoncé. La ville, je la laisse aux grouillants qui aiment encore se faire happer par les vagues. J'y reviens néanmoins quelques fois, en ressacs, mais sous l'opercule elle ne chahute que mon âme.

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