Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 19 juin 2010

Carnet Tokyoïte, liasse 20 (effacement)

Un jour, bien sûr, il faudra revenir. Il ne pourrait en aller autrement. L'idée du retour était explicitement inscrite dans celle du départ, mais comment aurait-il été possible de prévoir que ce serait un tel arrachement, un tel déchirement ? Comment aurais-je pu penser que les incisions du retour seraient aussi profondes ? Papiers en poches, liasses un peu froissées de ma mémoire n'empêchèrent pas les espaces de se clore peu à peu, les portes de claquer sous la pression violente de la main, enfin les clefs déposées sur la table furent reprises par d'autres mains que je ne serrerai jamais. Elles passeraient de mains en mains, glisseraient dans d'autres poches, d'autres les chercheraient, elles ouvriraient sur d'autres lieux où je n'entrerai jamais, et ainsi de suite jusqu'à ce que tout de moi se soit effacé de Tokyo.

Et voilà que l'exil recommençait d'un autre lieu que je connaissais à peine. J'avais du mal à le croire, mais la malédiction reprenait sa course et je comprenais que plus rien ne l'arrêterait. La malchance renaissait, le sort m'était contraire, je le sentais. Les élans brisés deviendraient des courses arrêtées, des métamorphoses inversées, et il serait impossible de feindre davantage. Le calme s'effriterait. C'est là ce qu'il devenait raisonnable de craindre. La fissure lente remonterait et le calme tomberait en pièces.

J'avais pourtant eu l'intuition qu'il aurait été possible de rester assise dans cette salle anonyme, dont les stores translucides masquaient tout ailleurs, rester à écouter sans faire de bruit, à regarder les visages défiler, impassiblement, et penser parfois abstraitement que je suis à Tokyo, en chercher la perspective dans les heures qui passaient, attendre que la suite advienne de ce nocturne tokyoïte où il me semblait essayer de sortir de ma nuit. Les orateurs défilent, pénétrés de leur importance. Un se lève, rajuste sa cravate, l'un tire sur son pull, l'autre reprend d'une voix fébrile, un autre encore, fiévreusement il cherche un fichier, le suivant se ronge dans l'attente, agrippe de sa main noueuse le bord de la table. Il va tomber. Il ne tombe pas. Mon attention s'éparpille.

C'est peut-être la raison de ce retour dégringolé, précipité. Il fallut faire tenir dans la valise minuscule tout, et le reste, et les preuves de mon passage ici même, et les papiers, et les reliques de ces jours. Il fallut plier serrer écraser broyer les objets pour les remettre dans ce monde-ci. Après quoi il a suffi de tout laisser choir, tous les objets pesaient et sont redescendus des soutes de l'avion, ouvert, comme éventré. Et je me suis retrouvée là, au même endroit, immobile, transpercée de ce retour. Je croyais mètre échappée et voilà que les choses reprenaient que tout reprenait et moi seule ne pouvais reprendre ni mon souffle ni mes esprits. Terrassée.

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