Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 13 février 2011

L'∞, 19

Il y aura bien un moment t du temps, duquel il faudra partir, s'abstraire de cette pure contemplation de l'∞, au sens où l'abstraction est d'abord séparation, quelles que soient les élaborations que plus tard on en aura voulu faire. Le couperet sec de l'abstraction tombera, dont le bruit dissonant est déjà annoncé, et que pour le moment on s'attache à oublier dans le clapotement de la mer, qui aussi fait oublier, par sa seule grâce suffisante, la rumeur de la ville, et le grondement des embouteillages, et des moteurs, et tout ce vacarme là qu'on n'aurait pu oublier sans elle, qui auraient enfoncé des coins dans notre boîte crânienne, là même où nous ignorions les jointures. Il y aura donc un moment (nous trois, pions isolés de la stratégie du rêve, le savons déjà et le redoutons) où l'abstraction déchirante nous ôtera la possibilité d'Ulysse.

Peut-être est-ce cela, cette prescience tacite, qui nous tient, immobiles, au bord de ce monde, en même temps qu'aux bords de l'∞. Qui nous tient, silencieux, de ne pouvoir être dite.

Nous sommes debout, immobiles, à la frontière, pure ligne, passage entre des mondes, lieu contradictoire sans extension spatiale, pur lieu sans doute de notre contemplation de la mer, en nous seuls atteignable, qui nous traverse de part en part, qui est tout autant la fin de notre monde, auquel encore pour quelques instants nous tournons le dos, que le début de possibilités ∞es dont nous ne saisirons que les premiers déploiements dans les couleurs du crépuscule, nuances interminables, qu'il faut bien se contenter de regarder dans le silence de notre attente. Toutes les attentes sont silencieuses. La nôtre, celle de pions sur l'échiquier des rêves possibles, l'est plus encore. Nous savons qu'une parole, une simple discordance de la voix, détruirait la possibilité d'Ulysse.

Moment miraculeux de l'équilibre des mondes à la frontière desquelles nous nous tenons. Puissions-nous, encore quelques instants, y demeurer. Puissions-nous y revenir, une fois que le moment t où ce monde nous happera de nouveau sera loin dans le passé effondré sur lui-même. Pourquoi la grâce de la mer ulysséenne n'apporte-t-elle pas, en plus de tout, l'oubli ? Puissions-nous oublier le train de 19h28.

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