Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

vendredi 18 février 2011

L'∞, 25

— À quoi tu penses ?
— Tu l'aurais dit, toi, que ta vie allait devenir comme ça, quand tu avais quinze ans ?
— Non…

Il me parvient des bribes du monde dans la conscience… des bribes de ce monde condensé dans le train de 19h28, qui enfreignent les barrières de mon sommeil, je cherche à plonger un peu plus profondément dans cet abri improvisé que fait une écharpe, froissée sous ma tête, et dont je fais retomber un pan sur mon visage, et la fatigue du jour, qui pourrait me reconduire jusqu'à Paris, si je parviens à rester là, dans les eaux troubles et immobiles de l'endormissement…

— … nous vous informons qu'un bar est à votre disposition voiture 14, au centre de la rame. Vous pourrez y trouver…

Je connais la suite, je connais tout le déroulement de cette joie commerciale et factice qui me remonte vers la surface. Je pourrais la dire à sa place, la répétition l'a fait entrer dans mes connexions neuronales, et maintenant, une fois que le schème s'amorce, il peut se dérouler tout seul, sans que le moindre effort soit nécessaire, … je connais le rôle par cœur… boissons chaudes, boissons fraîches, sandwichs, confiseries… ensuite il attaquera la question des moyens de paiement… si seulement je pouvais glisser un peu plus profondément dans le sommeil, comme un marin qui s'éloigne sur la mer, et qui finit par être hors de portée des côtes… Ulysse…

— Bonjour, contrôle des billets s'il vous plaît !

La possibilité d'Ulysse s'éloigne à une vitesse de trois cent vingt kilomètres/heure. Le monde se condense comme une buée sur la vitre et le contraste du wagon éclairé trop fortement et du crépuscule fait que je ne vois plus Ulysse. Il a dû s'éloigner sur la mer inchangée. Je cherche au fond d'une poche, d'une autre, au fond de mon sac, sans pouvoir éviter de m'absorber dans ces gestes, le carton rectangulaire et pâle qui éloignera la main tendue vers moi, je ne vois pas l'homme qui se tient debout dans l'allée, seulement la manche de son uniforme, et sa main tendue, qui saisit le billet, me le redonne. Mon écharpe glisse sur le sol.

Dehors la nuit est tombée comme un voile opaque. La possibilité d'Ulysse s'est perdue je ne sais où.

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