Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

samedi 19 février 2011

L'∞, 28

— Laisse-moi. Laisse moi un instant. Je n'en peux plus. Nous en sommes arrivés au point de basculement. Maintenant il faut que tu me laisses. Si le tourbillon dans lequel tu m'as prise ne cesse pas un instant, je ne parviendrai plus à rien. Comment veux-tu que je reprenne un élan, comment peux-tu seulement penser que je puisse reprendre un élan, que mes élans reviendront, si tu ne cesses pas de me morceler, de me fragmenter, comme tu le fais sans cesse depuis si longtemps… je ne sais plus quand tu as commencé, au début, les choses allaient plutôt bien, je m'en souviens, il y avait de l'espace, des possibles, du temps, des perspectives, d'ailleurs, je découvrais la perspective, en me promenant dans les rues, sur les places, et le soir venu, il y avait toujours, à chaque instant, la possibilité de contempler ∞ment longuement un tableau d'un maître de la Renaissance. C'est après que tout a commencé à aller de travers. D'ailleurs je n'ai jamais réussi à savoir quand c'est arrivé, je n'ai pas réussi à identifier le grain de sable dans le mécanisme, ni à le retirer, mais il est bien certain qu'il y est entré, qu'il s'y est installé, il a grippé la mécanique parfaite, les arrangements horlogers, quelque chose s'est détraqué, et maintenant, tu n'arrêtes pas, tu ne cesses pas un instant d'exercer sur moi cette étrange angoisse.

— …

— Tu ne dis rien, tu n'as rien à dire ? Alors pourquoi ne cesses-tu pas un seul instant de me fragmenter ainsi ? Ne peut-il donc y avoir de grâce en toi ? As-tu seulement idée de ce que c'est que d'être fragmentaire, de devoir rassembler son être chaque matin, avant d'affronter le regard des autres, et de remettre ensemble les morceaux, et de sentir, tout le long de la journée, que les jointures sont imparfaites et qu'elles ne tiendront plus longtemps ? Tu la connais, toi, cette impression de s'effacer peu à peu, de perdre sa propre trace en toi ? Tu devines quelle impression cela peut faire de sentir qu'on n'est rien qu'un peu de poussière qui tient ensemble, certes, mais qui ne va pas tenir bien longtemps (un souffle suffira pour tout disloquer). Je ne sais même pas pourquoi je te parle, tiens, tu t'en moques bien, de ce que je te dis, tu ne m'écoutes pas.

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