Regard infixe : les étoiles scintillent.
— Tu savais bien que ce serait difficile, non ?
— Oui.
Mais qu'est-ce que ça change ? Engrenage, on est tous pris au piège, nous voilà bien, on est pris au piège, faits comme des rats, la mer avance, se retire, le silence tombe, remonte des profondeurs, se déploie sur le monde comme une nappe de brouillard, soudain vole en éclats dans des confessions, discussions, professions, profanations, incantations, périodes, développements, exordes, épilogues, dont d'ailleurs on se serait bien passé, assurément, on s'en passerait bien, de tout ce désordre, et de tout ce fatras, de ce vacarme, de ces entrelacs tentaculaires, Ulysse n'y retrouve plus ses compagnons, n'y entend plus les sirènes, et voilà pourquoi, dans ce monde, nous cheminons de concert, lui et moi.
— Comment tu te retrouves ici ?
— Je vais mon chemin, voilà tout.
— Mais tu connais ? Tu es déjà passé ?
— Comment le savoir ? Tu crois que j'en ai la moindre idée ?
Alors, je commence à comprendre. On ne sait rien, en fait. Personne ne sait rien. On va à l'aveuglette. C'est à l'aveuglette qu'on traverse ce monde. Enfin, un monde, un fatras, un amoncèlement, n'importe quoi, les heures passent, les jours passent, les lieux se traversent, les silhouettes se dessinent, une femme et son enfant qui hurle,on ne sait pourquoi, un homme portant des planches immenses sur son épaule, un couple immémorial, il lui caresse la joue, elle est si frêle, on dirait qu'elle va tomber, silhouettes, rien que cela, des silhouettes dans ce fatras, dans ce désordre en ombres chinoises sur le crépuscule …
— Tu veux dire que je dois me résoudre à n'être que l'une d'elles ?
— Quelque chose comme ça, oui.
— Et toi ? Tu es l'une d'elles ? Rien que l'une d'elles ? Pas plus que cela ?
— Je refuse de me poser la question.
Alors ce sont les questions qui nous obsèdent ? Il suffirait de ne pas les poser.
— On tourne en rond, Ulysse, tu ne crois pas ?
— Je ne crois pas, non.
Parce qu'on se dépouille de ce qui ne sert à rien ? Je veux bien essayer. Me polir comme un coquillage nacré, m'user comme un grain de sable, tenter de disparaître, pour accéder au noyau dur de mon existence, dessiner ses fibres les plus essentielles, voir ce qu'il en reste quand il n'en reste presque plus rien, je veux bien, même, passer cette vague, encore une autre, ne plus combattre, ne pas combattre, comprendre le sens des courants et des vagues, je veux bien essayer, mais je ne pourrai pas céder sur tout.
Je ne parviendrai pas à l'indifférence, je me connais, je ne pourrai pas.
lundi 9 mai 2011
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