Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mardi 10 mai 2011

L'∞, 145

Brisures, cassures, elles se dessinent, selon des ruptures sinusoïdales, dans la matière fragmentaire de nos moi. Le moi est-il autre chose qu'une brisure, autre chose qu'une cassure, qu'un éclat de mica incrusté profondément, quelque part, en un lieu du monde d'où il ne se laissera pas facilement délogé ? Le moi est une ligne de partage, partage des eaux, entre les eaux qui s'écouleront dans les rêves et celles qui prendront cours dans le réel, se réfléchiront, s'élanceront dans le monde, tandis que les premières, absorbées par des sables oniriques, rejoindront les schistes friables de nos impossibilités.

Fission, fragmentation, contre quoi, sans cesse, nous luttons. Ressac. Ce contre quoi nous luttons prend un nouvel élan et nous revient alors, sans relâche, augmenté à n'en pas douter, de nos forces propres, que nous usons inutilement à lutter contre ce que nous sommes, fissures, fragments que nous tentons de ramener, de ramasser et de remettre dans l'ordre d'une conscience qui se délite, se démantèle.

— Donne-le moi.
— Tiens.

Il me suffit bien de n'être rien qu'un fragment de ce que je suis, rien de plus qu'un fragment de ce que je suis. Je tourne ce mot dans ma conscience, comme le verre poli par la mer qu'Ulysse a ramassé dans le sable humide et m'a tendu, et entre mes doigts, tout comme je l'ai tourné et retourné pendant qu'il s'en détachait quelques grains de sable mêlés de micas fascinants, ce fragment de matière éreinté tournait comme ce mot continue de tourner dans ma conscience, s'enfonce dans les profondeurs des phrases tacites et silencieuses qui ne cessent de me hanter, que je tente de lui dire, à lui, Ulysse, tant elles sont, dans ma conscience, devenues obsédantes, et peu à peu tout en disparaissant, ce mot, ce seul mot, fragment, se mêle à la conscience que je conserve de moi, bien plus qu'il ne disparaît en elle, solution, dissolution, confusément, et selon la loi du mélange total que les Anciens maîtrisaient si bien, par laquelle ils alcoolisaient, d'une goutte de vin sombre, l'océan tout entier, il fait voler ma conscience en autant d'éclats désordonnés d'une mosaïque décomposé.

Il me suffit bien d'être un fragment de ce que je suis.

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