Fragment, fragmentaires, fragmentation. Nous ramassons des morceaux épars de ce que nous sommes, reconstituons difficilement une unité.
— Mon bateau aussi a volé en éclats.
— Il s'est échappé de tes mains, s'est brisé sur les rochers ?
— En quelque sorte.
Nous nous échinons à l'unité ; unité de soi, unité de la vie, tension extrême, épuisante, recherche de l'unité des représentations, nous tentons de tenir tous les brins d'une corde usée entre nos mains crispées, mais le chanvre se défait, les fibres torses refusent la tension extrême qui leur fut imposée, lentement se tournent, se retournent, les brins, un à un, se délitent, et nous tentons, de plus en plus désespérément, de les retenir.
Alors qu'il vaudrait mieux s'abandonner. Relâcher l'emprise. La tension n'est bonne que pour les cordes de violon, qui claquent parfois au creux d'une mélodie, pour les cordes de chanvre, que le sel ronge, attaque, sur lesquelles il impose sa morsure, et la solution que nous cherchons sans méthode dans le dédale où nous sommes rejetés, assurément, n'est pas de cet ordre, ne peut pas être de cet ordre.
Accompagner le mouvement, se fondre dans le mouvement, se couler dans les modifications du monde, comprendre les dynamiques intimes, comprendre pour accomplir, les modifications, les métamorphoses, les transformations les plus intimes. Fascination des vagues et des courants, dont on comprend soudain l'origine la plus opaque et la plus sourde. Regard plongé au loin, dans les mouvements profonds de la mer, fascination, loin de toute pensée du fragmentaire, loin du désordre de nos consciences irréconciliées.
— Moi aussi je vole en éclats.
— Nous ne serons jamais que des fragments de nous-mêmes.
— Est-ce grave ?
— Parfois, ils brillent au soleil.
Ulysse se contenta de hausser les épaules imperceptiblement.
mardi 10 mai 2011
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