Je n'avais pas d'emblée remarqué que la statue avait perdu la tête. Du premier abord, je ne l'ai pas vu. J'ai vu sa silhouette, ses formes dessinées sous le drapé mouillé, appliqué sur elle, épousant ses contours, descendant sur ses cuisses, jusqu'à ses pieds posés tendrement sur le socle. La tête avait dû rouler, quelque part, dans les flots, et se perdre dans l'azur marin, au milieu des algues et des coraux dans lesquels, maintenant, elle reposait à tout jamais. Tête roulée, déposée à même le sol de sable sur lequel les ondulations se voient, ondulations, vagues, lames, celles de la surface, toutes, dupliquées en profondeur, sur lesquelles elle repose désormais, inatteignable, hors de portée …
Quelle vague amie l'avait ainsi détachée, entraînée, emportée, déposée pour moi au creux des flots, comme le secret de mes larmes ?
Je commençais, appuyée contre elle, à sentir les traversées secrètes, la chute, la tempête, le naufrage, les effondrements, les éboulements, et puis le sable, ∞ment, le sable silencieux, et humide, ∞ment la couvrant la recouvrant l'enveloppant comme un manteau froid et humide. Les images commençant à remonter en moi, à apparaître, à se surimposer sur les flots même que je ne regardais plus, presque plus, tant elle faisait remonter à la surface de ma conscience, des strates de possibles, les unes sur les autres, les unes par dessus les autres, strates parallèles de ma conscience, dans lesquelles je m'enfonçais de plus en plus, inversement, au fur et à mesure qu'elles remontaient, et qui, de plus en plus, m'engloutissaient.
Cela m'évita de la gifler. Au moins, je n'eus pas à le faire. J'envisageais, en effet très cinématographiquement, de me relever, puisque dans mes rêves mêmes je continuais de suivre le déroulement temporel, de me retourner, aussi verticale qu'elle l'était, aussi obstinée qu'elle, d'affronter son regard de pierre, et de lever la main aussi haut qu'il m'était possible, élan, prendre de l'élan, pour la gifler d'être ainsi sortie de sa nuit marine. Mais la séquence fut brisée, enchaînement brisé, arrêté, ma main suspendue devant l'absence de tête, Ulysse n'effaçant pas ses larmes, et moi, ne pouvant pas la gifler, sidérée et muette.
Je continuai à regarder la mer, cela pouvait être ∞, cela pouvait me conjoindre dans l'∞, je pouvais continuer à regarder la mer, adossée à elle, immobile, indifférente. Seulement, la colère colorait mes joues.
jeudi 19 mai 2011
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