Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

jeudi 14 janvier 2010

Vanités…, VIII



Sous le regard du reflet, le monde glisse et se modifie ; ses variations laissent impassible la surface parfaite du miroir. Une goutte d'eau condensée par le froid ferait davantage. Son immobilité impavide renvoie l'écho d'une pavane mutique. Mais aussi verticalement hiératique soit-il, il lui faut bien répéter le changement et admettre la constance de l'inconstance. La regretter ou s'en réjouir.

S'y abandonner. Je garde la mémoire de ce tableau ancien, de sa lumière dorée du Nord. Dans l'encadrement d'un rideau lourd et drapé, se joue un échange furtif de regards, si furtif qu'il était impossible de le saisir. Miracle que nous le voyions : dans l'épaisseur du monde, elle tend la lettre. Elle sait, aussi bien que celle qui la reçoit, le contenu de la missive amoureuse. Autour de cet éclair se déploient en réseau les émotions entrecroisées, dans la perspective des pièces en enfilade.

La lettre, on l'imagine, glissée dans un livre, fut cornée, froissée, aux gestes des mains attentives, et le papier jaunit, imperceptiblement, du passage des jours et des nuits ; ou bien s'en fut-elle, déchiquetée, achever sa course et sa destruction dans le crépitement des flammes, s'envoler dans une fumée bleutée en déposant quelques cendres sentimentales et trahies aux pieds de la femme amoureuse, trahie, trahissante… abandonnée… infidèle… indifférente.

De nous, que peut-il émaner ? Il n'arrive plus de lettres qui jauniraient dans un secrétaire. Les messages s'effacent et de l'effacement même le geste est devenu virtuel. Effacement suppression, destruction… Quelques lumières clignotent, que reflète froidement le miroir impassible.

L'écran est aussi lisse que le miroir et nous y regardons défiler notre vie sans plus savoir de quel côté nous sommes. Notre monde a deux dimensions.

3 commentaires:

  1. j'étais las, le mot de "lissitude" m'est venu, avec ce regret de la douceur du temps qui jaunirait ces lettres, j'ai haï cet écran,censé lier et puis si lisse! nostalgie de la troisième dimension, l'épaisseur, la perspective. Suis passé sur ce gongorisme de la pavane mutique, sur quelque chose ici que je n'aimais pas, mais la froideur insensible en contraste avec ce tableau m'a convaincu,stylistiquement...car pour le reste cette blonde coquette du tableau ne m'a jamais ému, préférant la mère qui épouille sa fille, la confiance de l'enfant agenouillée, sa tête posée sur les cuisses de sa mère, les tomettes mordorées, le chat qui regarde par la fenêtre ouverte

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  2. Les missives électroniques sont en effet des plus froides. Ceci dit, je n'efface jamais rien. Et par hasard, les jours où il me prend l'envie incongrue de classer (ces jours se comptent sur les doigts d'une seule main), je relis les anciens courriers. Souvent, je retrouve des mots jaunis, des mots qui rappellent, des mots qui n'ont plus le même sens. Une obsolescence qui sent bon.

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  3. Quant à moi, je n'ai pas cessé d'écrire de longues lettres. J'y colle des tableaux en miniature. Et puis je les envoie dans des pays lointains, très lointains... là-bas vers l'Occident. Et je chéris le délai qu'elle prennent pour arriver : des semaines.

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