Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

dimanche 9 août 2009

Senteurs 1

Se concentrer sur le concret…

Sinon l’esprit vacille, vagabonde.

L’odeur de la farine sur les mains.

Odeur de cuisine. Je me souviens, enfant. Le monde paraissait immense. Mon nez à hauteur du tablier des femmes. À hauteur du nœud qui le retient sur le corps déjà lourd des enfantements et des ans. Elles accomplissent, dans la cuisine carrelée au-delà de ce que j’en atteinds, un ballet compliqué. Depuis des années, elles ont réglé un pas de deux dans lequel je n’occupe qu’une place périphérique et silencieuse.

Les bruits alors qui m’avertissent des dangers. Le rissolement dans la poële. Les saccades régulières du couteau immense sur l’épaisse planche de bois. Elle porte les stigmates de ces repas de famille.

Je navigue à hauteur de vue. Les gestes maîtrisé fascinent. La cuisinière à charbon ronronne, dans laquelle mon père jette ses paquets vides de gauloises bleues (des années plus tard j’en retrouverai un, le dernier qu’il ait jeté avant sa mort à elle et tous ces bouleversements). Elles se penchent pour l’allumer, soufflent, restent ainsi quelques instants, penchées sur le foyer de braises. Surveillance dont tout m’échappe sauf le rougeoiment et les craquements.

Se concentrer sur le concret — agrippée à lui, je ne risque rien.

Le soleil entre par la porte ouverte sur le jardin. Avant de m’échapper, je tenterais bien un geste. Là, le nez contre son tablier, qui sent le coton, et la lessive, et le soleil, et la farine, sa main essuyée d’un geste répété, toujours identique, pendant qu’elle prépare les repas…Je colle mon nez, je respire ce mélange, toujours le même. Tout contre ma joue, la douceur de la toile qui me fait frisonner. Mes bras autour d’elle.

Elle n’a pas caressé ma tête. Sa main n’est pas passée dans mes cheveux.

3 commentaires:

  1. C'est étrange ce sentiment que j'ai à la lecture de ce texte. Je me suis pris à sourire dans les premières lignes m'attendant à un histoire d'autrefois vue par le regard d'une petite fille devenu grande. La farine, les odeurs etc. Et la denière phrase me fait capoter. Pas de contact vraiment avec ses femmes idolatrées ou du moins admirées, un manque juste évoqué, juste perceptible par les deux négations de cette phrase de clôture.

    Si je saisis bien le sens, c'est pudique et très bien construit.

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  2. moi je trouve que cette atmosphère forte de ces femmes structurées qui dominaient de leur cuisine et de leur gestes impérieux est une douceur certaine pour la petite fille même si aussi menaçant , certainement structurant, on sent un monde de l'évidence avant qu'il ne vacille , si j'ai bien compris.
    impression de forte présence, l'importance du concret bienfaisant rassurant, si seulement , finalement c'est lui qui est rassurant , une impression de silence dans tout ce bruit du réel ...

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  3. toujours aussi beau , sensible , si plein de densité imperceptible , l'oeil nu , mais donne de la pensée au texte , laquelle ay there's the rub ! le laisser venir a soi et décanter , tu nous enchante et même si l'on ne se connait pas oui je sens une même longueur d'onde,

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