Clara et Hannah ouvrent leur blog, au printemps 2011 : l'écureuil du net ! à lire absolument !!!!
Merci à François Bon, qui a accueilli sur Publie.net les Carnets Lointains, et le Manuel anti-onirique.

mercredi 12 août 2009

Senteurs III

Billet illégal, de pensées enfumées, d'odeur de tabac, de cigarettes qui brûlent… non fumeurs s'abstenir : ici les souvenirs sont tabagiques ! 

Il était assis à son bureau, et régnait seul au milieu d'une pièce, fenêtre ouverte sur les peupliers frissonnants et sur la ville lointaine, en contrebas. Les étagères s'incurvaient sous le poids des livres, sans jamais atteindre le point de rupture toujours repoussé où pourtant je les attendais, une de ces bibliothèques qui alternent sans rien devoir au hasard les couleurs, les tailles, bordeaux, gris, un alignement de vert sapin, une touche de bleu roi, noir aux écritures blanches, puis de nouveau ce beige un peu terne, les couvertures descendaient, remontaient, dans un mouvement écrit sur la portée musicale de la pensée et de la science… certains livres se couchaient à l'horizontal, d'autres laissaient s'échapper des bouts de papier plus ou moins bien coupés, plus ou moins déchirés, parfois couverts de notes. Je me souviens d'entassements de piles de papier ; mais peu de catastrophes, finalement, pas d'effondrements ; parfois quelques nouveaux arrivants dans des enveloppes matelassées, bientôt soupesés, appréciés, interrogés, et auxquels il réservait un accueil attentif.

Silence. Le silence calme de la pensée. Les mots ne peuvent s'ajuster que sous cette très exacte condition. Profondeur du silence dans laquelle se recueillent les idées.

Il fumait… D'une main il écrivait, de temps en temps levait les yeux, tournait une page, faisait tomber les cendres dans un cendrier, presque plein la plupart du temps… parfois, il marchait de long en large… et dans ces moments là, la fumée de la cigarette s'élevait, verticalement, depuis la table, remontait le long des livres, dans un filet étroit… puis il se rasseyait, tirant une bouffée de tabac… et quand il la rejetait, levant les yeux, alors sans doute le tabac et la fumée partaient en volutes dans ses pensées, se confondaient en hypothèses, et je pensais qu'il régnait dans le troisième monde, celui des objets intelligibles, et de l'immatériel, une odeur de tabac, que la fumée trouvait un moyen mystérieux de se faufiler de notre monde de la pesanteur dans ce monde immatériel, qu'elle le reliait à ses idées, et qu'ainsi il les retrouvait … Rembrandt, après tout, invite son philosophe à monter un escalier en volutes pour rejoindre les siennes…

Je me souviens qu'il y avait à terre, posé contre un mur, le portrait d'un homme plus âgé que lui, aux chevaux déjà blancs, et avec lequel il entretenait une ressemblance assourdissante. Et que tout cela était infiniment complexe… comme les formules qu'il écrivait patiemment.

Le bonheur a l'odeur du tabac sur des pages couvertes de signes.


5 commentaires:

  1. Ces odeurs de tabac me rappellent mon père. Lui n'était pas littéraire et ne s'est jamais encombré de quelconques livres. Sa culture était viticole, ses vignes, son vin, son village et ses amis de bistrot.
    Pourtant, beaucoup de gauloises brunes sans filtre ont lâché dans l'espace des tonnes de ressentiments. Des vollutes sombres bleutées au son de ses godillots rapés qui alourdissaient ses pas. A sa mort, sa chambre sentait bon le tabac froid. Odeur que tout en chacun déteste. Moi je l'aime.

    Aujourd'hui dans mon antre, la fumée est toujours là. Les blondes ont remplacé les brunes et mes vignes sont mes territoires virtuels vertueux.

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  2. Ces souvenirs odorants sont ancrés profondément en nous, je crois. Je les explore pour cette raison. Ils nous ramènent à des traces très anciennes, des empreintes que le monde quotidien a laissées il y a très longtemps en nous, et auxquelles nous restons étonnamment fidèles. Si je n'avais pas fait de philo, je crois que j'aurais aimé connaître les parfums et en imaginer.

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  3. Touchée, souvenir jaunit.. senteurs inoubliables. Je me souviens ces liens qui nous enflammaient ... mon père ...

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  4. tu me ramènes à ma vie intérieure , mes souvenirs sur lesquels je ne m'étale pas mais qui m'habitent encore , parfois m'enivre sans que je n'y prenne garde, tant, que je voulais écrire en retour mais n'ai pas eu le temps !

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  5. Ce retour pourrait être notre vase communiquant, qu'en penses-tu ?

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